La Russie a diffusé mercredi pour la première fois une interview télévisée de Gueorgui Joukov, interdite du temps de l’URSS, dans laquelle le maréchal soviétique a esquissé une possible défaite face à l’Allemagne nazie durant la Deuxième guerre mondiale.
MOSCOU (AFP) - La Russie a diffusé mercredi pour la première fois une interview télévisée de Gueorgui Joukov, interdite du temps de l’URSS, dans laquelle le maréchal soviétique a esquissé une possible défaite face à l’Allemagne nazie durant la Deuxième guerre mondiale.
La diffusion de ce document réalisé en 1966 intervient à quelques jours d’une grande parade militaire (9 mai) à Moscou pour célébrer le 65e anniversaire de la victoire des alliés sur les troupes d’Adolf Hitler, à laquelle sont attendus de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement.
Dans cette interview retransmise par la chaîne Pervyi Kanal, le maréchal Joukov (1896-1974) déclarait que les généraux soviétiques n’étaient pas très sûrs que l’Armée rouge puisse empêcher la Wehrmacht de franchir la ligne de défense de Mojaïsk (110 km à l’ouest de Moscou) et d’arriver dans la capitale.
"Les commandants étaient-ils confiants dans le fait que nous puissions tenir cette ligne de défense et stopper l’ennemi ? Je dois dire franchement que nous n’étions pas complètement sûrs", reconnaissait M. Joukov.
"Il aurait été possible de contenir les unités initiales de l’ennemi, mais s’il avait envoyé rapidement ses principales forces, il aurait été difficile de l’arrêter", confiait-il à l’interviewer, le journaliste et écrivain russe Konstantin Simonov.
Le maréchal Joukov, qui dirigeait la défense de Moscou, a raconté comment le dirigeant de l’Union soviétique de l’époque, Joseph Staline, l’avait convoqué à Moscou en octobre 1941 et lui avait fait part de ses inquiétudes.
"Staline avait la grippe mais il travaillait. Il a montré la carte du front et a dit ’regardez la situation sur le front ouest. Je n’arrive pas à me procurer le moindre compte-rendu de ce qui se passe là-bas en ce moment. Où sont nos troupes ?’", relatait-il.
Une fois arrivé au front, Joukov a trouvé que la défense mise en place jusqu’alors était "très insuffisante. C’était une situation extrêmement dangereuse. Nos troupes à la ligne de défense Mojaïsk n’auraient pas pu arrêter l’ennemi s’il avait fait mouvement vers Moscou".
Et d’ajouter : "J’ai téléphoné à Staline. J’ai dit que le plus urgent était d’occuper la ligne de défense Mojaïsk, dans la mesure où il n’y avait pas, par définition, de troupes (soviétiques) sur le front ouest".
Si la Wehrmacht "s’est surestimée et a sous-estimé les troupes soviétiques", avait observé Joukov, les conditions météorologiques rigoureuses de la Russie — le froid et la boue— ont joué un rôle majeur dans la défaite de l’Allemagne nazie.
Le célèbre maréchal a participé à l’assaut final sur l’Allemagne en 1945 et s’est vu confier l’honneur de diriger la parade victorieuse de l’Armée rouge en pénétrant à cheval sur la Place rouge.
Mais après la guerre, le général devenu trop populaire aux yeux de Staline a été rétrogradé en 1946 au commandement du district militaire d’Odessa, ville portuaire d’Ukraine, une ex-république soviétique.
Staline était jaloux et éclipsé par la popularité du charismatique maréchal, ont relevé des historiens.
Après la mort du dictateur soviétique en 1953, Joukov est devenu ministre de la Défense. Un monument lui a été dédié sur la place Rouge.
Les autorités soviétiques avaient ordonné la destruction de l’enregistrement de l’interview avec M. Simonov, mais un extrait est resté dans les archives.
La diffusion de ce document s’inscrit dans le cadre de l’ouverture entreprise récemment par la Russie sur l’histoire de la Deuxième guerre mondiale.
Il y a une semaine, des documents déjà déclassifiés sur le massacre de milliers d’officiers polonais en 1940 par la police de Staline à Katyn, dans l’ouest de la Russie, ont été mis en ligne.