Linfo.re :-Quels sont les souvenirs et les images que vous gardez en tête ?
Julien Chorier :
-Il y a un grand nombre d’images qui me reviennent. Le départ sous la pluie, l’entrée en tête dans Mafate, l’accueil à Dos d’âne et à la Redoute...
-Quelles ont été les difficultés de votre course ? Reviendrez-vous l’année
prochaine ?
-Le moment le plus dur a été la première partie jusqu’à Mare à boue. Elle a été éprouvante. J’avais peur de me faire mal et de revivre la galère de 2008. Je n’étais pas très rassuré ni très confiant. Heureusement avec le jour tout est rentré dans l’ordre et le moral est remonté en flèche.
Dans un deuxième temps, j’ai ensuite eu peur de m’être égaré avant le Piton Bâtard.Je me rappelle que j’ai fait demi-tour pour me rassurer et retrouver une rubalise.
Je pense avoir perdu une bonne vingtaine de minutes, mais je suis reparti rassuré.
Est-ce que je reviendrai faire le Grand raid ? Oui bien entendu, il y a cependant très peu de chance que se soit en 2010. Sûrement au moment d’une autre édition. Je n’ai pas prévu de revenir courir à la Réunion l’année prochaine.
Comment s’est passé votre retour en Métropole ? Y a-t-il eu médiatisation de
votre victoire ?
Le retour s’est très bien passé. J’ai repris l’avion et en même temps, le train train quotidien. Il a fallu retourner au boulot dans la grisaille...
Concernant la médiatisation, elle est relativement faible en Métropole. Elle n’a rien à voir avec celle de la Réunion.
Nous avons fait le déplacement avec le groupe LEGENDRE BRETAGNE. Dans notre équipe on retrouve Antoine Guillon, Johan Serazin, Albert Vallée, Lionel Eveno et moi.
Mes sponsors m’ont permis d’aborder ce grand raid dans les meilleurs conditions possibles. Le Jeudi Après midi nous partons pour Saint Joseph, chez la famille de Jocelyn où nous sommes très bien accueillis.
Quelques pâtes plus tard nous nous préparons pour le départ. Jocelyn strap la cheville de Johan, j’en profite pour faire la même chose. Depuis quinze jours ma cheville droite ne fait que de partir, pas cool…
22h, départ pour Saint Philippe. La pluie tombe de plus en plus fort, le choix de la tenue de départ ne fait que de changer. GoreTex ou not GoreTex. Sur la route, les bouchons, spécialité locale, font leur apparition. Plus le temps passe, moins nous avançons.
23h15, nous sommes toujours bloqués et pas de stade en vue, le stress commence à envahir la voiture.
23h25, toute l’équipe sort de la voiture, nous faisons le choix d’atteindre le départ en courant, on n’est quand même pas à 2-3 bornes près. Le contrôle des sacs effectué, avec Antoine nous nous frayons un chemin jusqu’à la ligne de départ. Nous retrouvons Ludo, Seb, Guillaume, Nicolas Darmaillacq et Mermoud .
Minuit, le départ est donné sous des trombes d’eau. Les premiers km de route sont rapidement avalés, il pleut, mais il fait chaud, j’enlève donc la GoreTex.
La longue piste forestière en direction de Mare Longue permettra à chacun de trouver sa place. La pluie battante transforme la piste en ruisseau de 5 à 10cm, l’eau rentre dans la bouche, le nez. A plusieurs reprises j’ai eu l’impression de boire la tasse. Au 1er ravitaillement, à Mare longue, on m’annonce 16ème, pour l’instant tout va bien. Les choses sérieuses vont commencer. La bonne nouvelle vient de la pluie, elle a enfin cessée.
Nous pouvons attaquer le sentier du volcan. Je me cale au cardio sur un bon rythme. Vers 1000m je lève la tête et aperçois un super ciel étoilé, ça rassure. Je rejoins quelques coureurs, me fait rattraper par Nicolas Darmaillacq. Nous ferons chemin commun jusqu’au volcan.
Depuis l’an passé j’avais oublié la partie roulante entre Foc-Foc et le volcan. Cette partie est agréable et permet de retrouver une allure de coureur. Avec le froid et le vent j’ai remis la veste, étant mouillé dessous, il ne fait pas très chaud.
3h51, je passe 8ème au ravitaillement du volcan. Je rejoins mon assistance familiale, ma femme et ma fille. J’en profite pour bien prendre le temps de me changer de haut et je repars en t-shirt ML. Je ne sais pas si Nico est devant ou derrière, je fais mon chemin.
Passage rapide à l’oratoire St Thérèse vers 4h30. Dans la descente vers Mare à boue, ma cheville se dérobe, je chute sur le genou. Le coup est douloureux, je repars en boitant, Erik me dépasse. Après quelques minutes à boitiller, la douleur s’estompe et je peux recourir normalement.
Je passe Didier Mussard. Il est très déçu car suite à un problème de frontal il a chuté et s’est fait mal. La partie de route jusqu’au ravitaillement de Mare à boue est vraiment longue. Même les parties qui pourraient sembler facile restent compliquées à gérer.
5h48, Mare à boue, je rentre dans le ravitaillement, je suis remonté à la 5ème place. Lucas, speaker sur l’UTMB est là pour faire l’assistance à Seb Chaigneau. Le monde du trail étant une grande famille, Seb lui a demandé s’il pouvait également me ravitailler. Je profite donc de ce point d’assistance pour passer un débardeur et une casquette.
La remontée vers le gîte du Piton des neiges est ponctuée dé nombreuses petites redescentes et relances, on prend difficilement de l’altitude. Dans cette section Richard Techer me double à mi-parcours vers le gîte.
On fera un bon bout de chemin ensemble. Je suis surpris par la vitesse à laquelle il peut marcher, je suis obligé de courir si je ne veux pas me faire décrocher. Au bout d’un moment je le laisse filer seul vers le gîte.
Juste avant d’arriver au gîte je revois Richard qui revient du ravitaillement, il a du pointer 2-3 min avant moi. Je pointe donc au gîte du Piton des neiges à 8h00 et suis remonté à la 3ème place. En partant du ravito je croise à mon tour Nicolas et Erik qui sont 2-3 min derrière moi.
J’aborde la descente vers Cilaos avec beaucoup d’appréhension. L’an passé, je suis descendu trop fort et je l’ai payé très cher. Je descends donc en me relâchant au maximum, sans prendre de risque.
Mon assistance « familiale » m’attend au ravitaillement du bloc. Pendant que je fais les niveaux en eau et gels énergétiques, Nicolas et Erik arrivent. On repart tous les 3 sur la route en direction de Cilaos. On profite de ces moments pour échanger sur nos sensations. Je suis bien et rassuré par mon état de fraicheur à ce point stratégique de la course.
Je n’ai pas prévu de m’arrêter à Cilaos (9h00, toujours 3ème ), je laisse donc mes 2 compères à leur ravitaillement pour filer vers Bras rouge. Il commence à faire vraiment chaud, la montée vers le pied du Taïbit est bien exposée au soleil. Je suis surpris de rattraper et doubler Richard dans une petite redescente. Je profite des 2-3 rivières traversées pour me rafraichir et mouiller la casquette.
10h01, me voilà au pied du Taïbit où je retrouve Céline & Anaïs pour la dernière fois avant le grand saut dans Mafate.
Je profite des premiers mètres de la montée pour m’alimenter et remplir mes poches avec les gels que m’a donnée Céline. Les sensations sont bonnes, je peux relancer en trottinant dans toutes les parties plates ou redescendentes.
A mi-monté, je profite de la douche installée sur le bord du sentier pour me rafraichir. Vers 11h00, je bascule dans Mafate, Il s’agit d’un moment important. Les difficultés vont maintenant s’enchainer.
Je me lance avec un peu d’appréhension mais aussi beaucoup de plaisir en direction de Marla. Je pointe à Marla à 11 heures 34.
Je suis donc en tête. Comme je suis bien dans ma course je n’éprouve pas de stress particulier. A Trois Roches on m’annonce un écart d’un quart d’heure sur Freddy Thévenin et un peu plus sur Richard Técher.
Comme à chaque ravitaillement, je fais le plein d’eau, bois un coca, prend une banane. Je viens de passer les 90km de course et me dirige maintenant vers Roche Plate où Anne-Marie doit m’attendre. Il fait vraiment chaud, je traverse la Plaine aux Sables.
Après une petite remontée, une bonne descente me fait rejoindre pour la première fois la Rivière des Galets. La suite ressemble aux montagnes russes avec plusieurs montées et descentes.
J’arrive à Roche Plate à 12 heures 58, les écarts sont à ce stade de 22 minutes d’avance sur Freddy Thévenin et 32 minutes sur Richard Técher. Je retrouve avec plaisir Anne-Marie qui est descendue à Roche Plate pour faire le ravitaillement d’un grand nombre de coureurs.
Je peux donc faire le plein de boisson et gels énergétiques (depuis le début de la course les produits Authentic Nutrition passent sans problème, pas de sensation de dégout ou d’écœurement). Avec son calme et sa gentillesse elle me permet de repartir sereinement pour la deuxième moitié de Mafate.
Après le passage à Ilet à corde, je traverse deux ravines pour atteindre après un petit raidillon la Rivière des Galets. Après le passage à guet de la rivière le raidard de la course m’attend en direction de Grand Place les Hauts.
Sur ma montre je relève 380m de dénivelé en 1km (pente à 38%). Après la montée, la descente. Elle ressemble à la montée, toute aussi raide. J’arrive après cette belle descente à Grand Place (Mafate) à 14 heures 31.
Le second est arrivé à ce poste de contrôle une heure plus tard, il s’agit maintenant de Ludo suivi de très près par Richard Técher et Érick Clavery.
Le parcours en direction d’Aurère est composé de quatre montée-descentes de 150-200m de dénivelé. Tous ces passages de ravines sont vraiment typiques du grand raid.
La difficulté et la technicité du chemin obligent à rester vigilant. Je me dis que les raideurs qui vont faire cette partie de nuit vont trouver cette section très longue.
J’arrive juste à l’heure du goûter à Aurère, il est 16 heures. Je profite de l’accueil chaleureux pour faire le plein d’énergie avant de me lancer dans la terrible descente vers la rivière des galets (plus de 4km et 700m de D-).
Les manchons pour quads donnent vraiment une impression de maintien, je pense qu’ils m’ont permis d’avaler les nombreuses descentes sans trop de casse (Quads, Compressport) Mon avance proche de l’heure me permet de gérer ma course sans prendre de risque. Dans la descente j’aperçois le croisement où je me suis égaré l’an passé. Une rubalise en travers ne permet plus l’erreur, je peux continuer.
A 16h55, j’arrive au poste de Deux Bras. Avec un peu plus d’une heure d’avance sur Ludo je commence à croire en la victoire. Maintenant, il faut vraiment bien gérer pour ne pas exploser ou se blesser. On m’annonce aussi en avance d’un quart d’heure sur le record établi au même endroit en 2008 par Pascal Parny. Il s’agit du cadet de mes soucis, faut rester concentré.
Les 800m de dénivelé vers Dos d’Âne seront difficiles, je dois à plusieurs reprises me relancer pour maintenir une allure correcte. Les nombreuses petites redescentes font mal au moral, « je ne vais jamais réussir à arriver là haut… »
Finalement j’arrive à Dos D’Âne l’église vers 18h. Je retrouve avec plaisir ma femme et ma fille qui me donnent les derniers encouragements avant le stade de la redoute.
Je traverse Dos d’Âne accompagné par un grand nombre d’enfants et supporters, c’est vraiment la fête. Maintenant direction la Roche écrite, la plaine d’Affouches et le Colorado avant d’arriver au stade de la Redoute.
La nuit est tombée et c’est dans le brouillard que je vais rejoindre le Piton Bâtard. Avant le Piton, je ne vois plus de rubalise, cela fait une dizaine de minute… Comme j’ai un peu d’avance je préfère faire demi-tour et aller vérifier que je n’ai pas loupé une bifurcation.
J’étais sur le bon chemin, plus de peur que de mal, je perds juste une vingtaine de minutes. Je peux continuer sereinement vers le kiosque d’Affouches. Cette partie est particulièrement sèche et agréable à courir.
Après le kiosque, il s’agit d’une des parties les moins intéressantes, la longue, trop longue piste forestière en direction de Colorado. Plus de 3km où il faut retrouver des sensations de coureur. La suite jusqu’à Colorado est vraiment plus agréable avec le passage dans une forêt très dense.
Colorado, il est 21 heures 17. J’ai, malgré mon plantage, une demi-heure d’avance sur Ludo. Je veux vraiment assurer cette victoire qui ne doit plus m’échapper. Je repars donc de Colorado très prudemment. Cette descente est piégeuse, ma cheville droite bien fragile, il faut vraiment y aller cool…
Je profite vraiment des derniers spectateurs qui m’encouragent, je marche, échange 2-3 mots. Je fais même une photo avec des pompiers ou militaires (avec la fatigue, je me rappelle juste qu’il y avait un uniforme). Je passe sous la "2 voies" et me retrouve sur la dernière ligne droite avant le stade. Les émotions se bousculent dans ma tête, j’essuie mes yeux (ça doit être la pollution de Saint Denis ;) )
L’entrée sur le stade est hallucinante, l’ambiante est à l’euphorie. J’aperçois ma femme et ma fille sur le côté, je peux finir en courant avec Anaïs. Pouvoir partager cette victoire en famille en décuple la saveur.
Il est 22 heures 09 minutes et 08 secondes je viens de boucler le grand Raid de la Réunion 2009 à une inattendue, inespérée, exceptionnelle première place.
En montant sur l’estrade je prends la mesure de l’engouement de la Réunion pour cette course, le stade est plein, merci pour cet accueil, j’en encore des frissons.
Après le passage devant les caméras j’accueil Ludo qui a fini comme un avion (juste 17min derrière moi) et Antoine, auteur comme à son habitude de la remontée du jour (25ème au volcan, troisième à l’arrivée).
Ce podium de copains me permet de partager ma joie. Vers minuit, avec Antoine, on va manger le Cary Poulet servi par les bénévoles. Ça fait du bien de s’assoir et de manger. Puis retour à la Saline les bains. 2h30 au dodo, mine de rien on est levé depuis le jeudi matin, 43 heures plus tôt.…
Après mon échec sur l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc), cette victoire fait vraiment plaisir. Elle me permet de remercier toutes les personnes qui m’ont soutenues dans la préparation et la course.
Merci Céline & Anaïs, merci Mr Legendre de m’avoir tout simplement permis d’être au départ de cette course, merci Stéphane (Allibert) et Christian (Activasport) pour votre soutien, merci Francis et Catherine (Authentic Nutrition), merci Lafuma pour le travail réalisé pour arriver sur cette course avec le bon matériel.
Une mention spéciale à Gildas pour m’avoir préparé un plan d’entraînement au top ...