Ebola frappe de plein fouet l’Afrique de l’ouest et sème la terreur dans le monde entier. Dans une interview à The Guardian, Peter Piot, le biologiste qui a découvert le virus en 1976 alerte la population mondiale.
Peter Piot est un microbiologiste ayant découvert le virus Ebola en 1976 au Zaïre, l’actuelle République démocratique du Congo (RDC). Dans une interview accordée à The Guardian et rapportée par le site atlantico.fr, il prévient le monde entier contre les risques épidémiques de cette maladie mortelle qui fait des ravages en Afrique de l’ouest. En effet, depuis sa réapparition il y a quelques mois, la fièvre hémorragique a tué 3 439 personnes sur les 7 492 cas diagnostiqués. Ces chiffres ont été donnés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vendredi. Le Libéria est le pays le plus affecté avec 2 069 morts, contre 739 en Guinée et 623 en Sierra Leone et 8 cas mortels au Nigéria. Depuis l’histoire de la maladie, le monde fait face à la plus grave épidémie d’Ebola et Peter Piot alerte le monde entier en déclarant qu’"il ne s’agit plus d’une simple épidémie, mais d’une catastrophe humanitaire".
"Depuis le mois de juin, il est devenu clair pour moi qu’il y avait quelque chose de fondamentalement différent dans cette épidémie par rapport à celle de 1976. C’est à ce moment-là que Médecins Sans Frontières a sonné l’alarme. J’ai donc commencé à avoir vraiment peur", a confié le biologiste. Alors que les individus infectés doivent normalement être placés en quarantaine, on peut en déduire que cette mesure n’a pas suffi à freiner la propagation du virus. D’après les explications de Peter Piot, "depuis le début, il existe un certain nombre de facteurs défavorables". "Certains des pays concernés sortent à peine de terribles guerres civiles, beaucoup de leurs médecins avaient fui et leurs systèmes de soins de santé se sont effondrés. Au Liberia, par exemple, il n’y avait que 51 médecins en 2010, et beaucoup d’entre eux sont morts avec l’arrivée d’Ebola", a-t-il poursuivi.
Selon cet ancien directeur d’Onusida (de 1995 à 2008), la réapparition de cette épidémie dans la région frontalière, très densément peuplée, entre la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria est une des raisons ayant contribué à la catastrophe. "Dans cette région, les populations sont extrêmement nomades, il était donc beaucoup plus difficile de retrouver ceux qui avaient été en contact avec les personnes infectées. Les morts dans cette région sont traditionnellement enterrés dans les villes et les villages où ils sont nés, de nombreux cadavres hautement contagieux ont été déplacés entre les frontières. Le résultat a été que l’épidémie s’est rapidement propagée dans des lieux différents", a expliqué le biologiste.
A sa découverte, le virus se focalisait surtout dans des petits villages et c’est la première fois qu’il a atteint de grandes villes telles que Monrovia ou Freetown. Peter Piot s’inquiète particulièrement du fait que "dans les grandes villes - et notamment celles où il y a d’immenses bidonvilles - il est pratiquement impossible de retrouver ceux qui ont été ou pu être en contact avec des personnes malades". Le médecin et aujourd’hui directeur de l’Ecole d’hygiène et médecine tropicale de Londres est d’ailleurs très soucieux de la situation au Nigeria : "Si la fièvre hémorragique venait à se répandre dans des mégalopoles aussi grandes que Lagos ou Port Harcourt, ce serait une catastrophe inimaginable", a-t-il précisé dans son interview.
Quand la presse britannique lui a demandé si "nous avions totalement perdu le contrôle de l’épidémie", Peter Piot a répondu : "J’ai toujours été un éternel optimiste mais je pense que désormais nous n’avons pas d’autres choix que de tout tenter, je dis bien tout. (…) Cela apparaît évident pour tout le monde qu’il ne s’agit plus seulement d’une épidémie mais bien d’une catastrophe humanitaire. Nous n’avons pas seulement besoin de personnel de santé mais aussi d’une excellente logistique, de camions, de jeeps et de denrées alimentaires. Une telle épidémie peut déstabiliser des régions entières. (…) Je n’avais jamais imaginé qu’une situation aussi calamiteuse puisse arriver un jour".
Pour l’instant, la majorité des personnes infectées par le virus se trouvent en Afrique de l’ouest. Toutefois, des cas ont également été recensés au Nigeria, au Sénégal, aux Etats-Unis avec le cas de l’homme en provenance du Liberia, l’infirmière française contaminée au Liberia, mais aussi en Grande-Bretagne avec un patient britannique contaminé lors d’une mission humanitaire en Sierra Leone. En outre, "des chercheurs estiment à 75% le risque de voir le virus de la fièvre Ebola atteindre la France d’ici vingt jours, à 50% pour la Grande-Bretagne." Peter Piot n’écarte pas ce risque pandémique.
"Il y aura certainement des malades atteints d’Ebola en provenance d’Afrique qui se rendront en Europe ou aux Etats-Unis dans l’espoir de recevoir un traitement. Et il se pourrait même que certaines personnes infectées décèdent. Toutefois une épidémie en Europe ou en Amérique du Nord serait rapidement mise sous contrôle", assure-t-il. Par ailleurs, Peter Piot se dit "plus préoccupé par les nombreuses personnes venant d’Inde et travaillant dans le commerce ou l’industrie en Afrique de l’Ouest. Il suffirait qu’un seul d’entre eux soit infecté et se rende en Inde au cours de la période d’incubation du virus puis, une fois qu’il tombe malade, se rende dans un hôpital public" pour que la situation soit totalement incontrôlable.
Sachant qu’Ebola change en permanence son patrimoine génétique, Peter Piot évoque même une situation "apocalyptique". Plus le nombre de personnes qui attrapent le virus augmente, plus il est possible que celui-ci mute, ce qui accélère sa propagation. C’est la raison pour laquelle, il recommande la multiplication des essais de médicaments expérimentaux. "Mais, nuance-t-il, nous ne devrions certainement pas compter que sur ces nouveaux traitements. En effet, pour la plupart des malades, ils arriveront trop tard. Ils ne serviront essentiellement qu’en cas de nouvelle épidémie". En attendant, il a conclu en disant : "ce sont les microbes qui auront le dernier mot".