Heure H-20 minutes :
Au quatrième étage de la pyramide inversée, l’ambiance est particulièrement calme. Elle tranche avec l’effervescence qui s’est emparée de l’immense hall de la Région. Dans son bureau, Didier Robert est entouré de quelques proches. Ils discutent. Les hommes sont penchés sur un document sur lequel ils travaillent à bas mots.
Sont-ils en train de peaufiner des réponses aux éventuels grands dossiers que Jean-Marc Collienne s’apprête à aborder ?S’agit-il d’une simple question portant sur les affaires courantes de la nouvelle équipe ? Personne ne le sait réellement.
Toujours est-il que la concentration est maximale dans ce grand bureau presque vide. Au passage, on peut remarquer que l’immense bureau a besoin d’être réaménagé. Plantes vertes et autres objets de décoration semblent avoir totalement disparu du bureau tenu par l’ancienne présidence.
Heure H -10 minutes :
Quelques flashs qui crépitent. L’instant est dans la boîte. La porte feutrée se referme. Il ne reste que quelques minutes avant le début de l’entretien.
Quatre étages plus bas, presque une vingtaine de techniciens s’affaire dans un enchevêtrement de fils et de câbles techniques. Une régie provisoire a été installée sous l’escalier du grand hall. Le « plateau » a quant à lui été installé face à l’immense baie vitrée derrière laquelle le drapeau de la région flotte au fort vent :
« Encore une fois, fermez cette porte nom de Dieu ! » hurle Olivier Baudet responsable de production. La pression monte, Jean-marc Collienne accepte pour la énième fois une retouche maquillage…
Heure H-1 minute :
L’ascenseur s’ouvre Didier Robert est prêt. Salutation de l’équipe. Installation micro. Maquillage. En moins de deux minutes, le grand gagnant de ces élections se retrouve assis face à Jean-Marc Collienne, le grand direct commence.
D’emblée l’interaction commence de façon conviviale, le ton entre les deux hommes est courtois. Avant d’entrer dans les grands projets de la mandature de Didier Robert, l’homme est amené à parler de lui, de sa famille :
« Mes parents et mes grands parents sont à la Réunion depuis très très longtemps. Nous sommes à l’origine une famille qui arrive de la Plaine des Cafres et de Piton Yacinthe.
Je suis issu d’une famille de trois enfants. Mon père était un policier municipal. On ne peut pas dire qu’il était sévère. Oui, j’ai eu une belle enfance dans un cocon familial privilégié. Chez moi à l’époque on ne parlait pas beaucoup de politique. À l’école, j’ai toujours été assidu. De 13 à 17 ans, j’ai été scolarisé à l’EMPR (Ecole Militaire Préparatoire de la Réunion). J’y ai appris des valeurs comme la loyauté, la fidélité, l’honnêteté. Ce sont des notions très importantes pour moi. Elles ont cours dans ma vie de tous les jours. Si je dois ma carrure à mon passage en école militaire ? (rires) Plutôt au rugby que j’aime bien…
Je suis ensuite allé à l’Université et j’ai abandonné la filière militaire. La politique s’est rapidement imposée à moi. Je suis passé par la Mairie de Saint-Leu, celle du Tampon.
La motivation profonde qui m’anime aujourd’hui est de changer beaucoup de choses à la Réunion. J’ai réellement le souci des gens avec qui je travaille. Je veux aider les Réunionnais.
Je veux vraiment venir en aide aux gens qui souffrent et qui sont en difficultés. Je veux donner plus de lisibilité à la Réunion. La réussite pour moi c’est de se donner à fond dans le travail et apporter un changement qui est très attendu. Je vais œuvrer pour que les Réunionnais se sentent mieux sur une terre qu’ils aiment autant que moi.
Sur le plan privé, je peux juste vous dire que je suis père de trois enfants. Ma sphère privée restera privée. Je peux parler de mes parents. Ils sont très présents autour de moi. Je crois même qu’ils n’ont jamais été aussi présents que pour cette dernière élection. Oui c’est la première fois qu’ils entrent autant dans ma vie politique. Mais je sais aussi qu’à la maison, on va rapidement parler d’autres choses que de politique.
Est-ce André Thien Ah Koon qui m’a propulsé ? On va dire que j’assume complètement cet aspect des choses. Je vois les choses à ma manière. Ces derniers temps, nous n’avons pas réussi à nous accorder. J’assume cette responsabilité à ma manière. Nous n’avons pas réussi à nous entendre. Je ne suis pas une marionnette, je suis un homme libre.
Je n’accepte pas d’être manipulé. André Thien Ah Koon avait dit qu’il tournait la page politique. Je me rends compte que ce n’est pas vrai. Il tente de revenir en politique. Je suis vraiment blessé par le déroulement des choses entre nous. Je croyais qu’il y avait un pacte de confiance entre nous.
En politique faut-il avoir une grande gueule ? Savoir donner des coups et en recevoir ?
Il faut simplement accepter d’être tranchant de temps en temps. Vous savez ce n’est pas évident de prendre des décisions pour l’avenir des autres…
Aujourd’hui nous avons beaucoup de travail devant nous. Je suis issu d’une famille de droite. Je porte des valeurs d’une droite qui pousse au développement économique. Je lance le pari économique d’une réunion qui va réussir.
Quels sont les grands personnages qui forcent mon admiration ? Il y a Nelson Mandela. Son action ouvre des portes d’espoir. Dans le même ordre d’idée, il y a Obama qui lui aussi prône le changement. Il est avant tout pour la justice. Au niveau national, j’aime beaucoup Simone Veil. Elle donne une vision moderne de la femme.
Oui, bien entendu, il y a aussi Nicolas Sarkozy. Il arrive à un moment difficile de notre histoire. Il se retrouve à mettre en place des réformes dans un contexte difficile.
Je reconnais aussi que le contexte local n’est pas non plus évident. Nous sommes confrontés à une situation d’urgence sociale. Pour moi, l’école et la formation doivent devenir coûte que coûte une priorité.
Le coup de fil de Nicolas Sarkozy au soir de notre victoire ?
Oui, Il m’a fait part de sa très grande fierté. Il m’a félicité pour la manière avec laquelle nous avons mené notre campagne électorale… . Il m’a appelé par mon prénom, je l’ai appelé Monsieur le Président tout simplement (sourire).
J’annonce aussi aux Réunionnais que je vais rencontrer notre Président ce jeudi. Je prends l’avion demain soir. C’est l’occasion d’avancer. Nous allons, bien entendu, parler des grands chantiers de la Réunion.
Maintenant que nous sommes à la Région, il y a de gros chantiers qui nous attendent. Je veux arriver à une rediscussion des accords de Matignon. . Je veux que la continuité soit une priorité pour notre action… En fait Paul Vergès et moi sommes sur deux axes parallèles. Il est dans une stratégie d’enfermement de la Réunion. Il a laissé notre département se recroqueviller sur lui-même.
Moi je veux que la Réunion respire, qu’elle s’ouvre enfin. Qu’y a-t-il de positif dans son bilan ? Peut-être quelques actions dans le développement durable qui ont été portées par la région. Dans le discours, il y a eu des aspects positifs…
Concernant l’abandon de mon mandat de Maire du Tampon, il n’est pas question d’abandon car le Tampon restera présent dans les grands enjeux qui vont se jouer à la Réunion. Je resterai auprès des tamponnais à travers le Conseil municipal. Je fais toujours parti du Conseil Municipal du Tampon.
Vous savez, moi je ne fais pas de promesses électorales en l’air. Quand je dis quelque chose, c’est que je vais le faire car j’ai beaucoup réfléchi avant de l’annoncer".
Fin de l’entretien. Le personnel de la Région agglutiné dans les escaliers commente les réponses. Quelques applaudissements retentissent çà et là. L’émission est dans la boîte…
Retour coulisses :
Juste après l’enregistrement télévisé, le Président de la région retourne au maquillage. Moment de décontraction, il revient sur la discussion qu’il vient d’avoir avec Jean-Marc Collienne :
« Le ton a été très convivial. J’ai beaucoup apprécié cet entretien. Je me suis vraiment livré alors que ce n’est pas tout le temps le cas. J’ai réussi à préserver ma vie privée. Je me rends aussi compte que je me suis beaucoup étendu sur la question d’André Thien Ah Koon. Pendant la campagne, je ne voulais pas communiquer là-dessus. Je pense que finalement aujourd’hui, c’était enfin l’occasion de le faire… ».
La tension de l’enregistrement retombe. Les centaines de mètres de câbles dépliés redeviennent de grosses bobines qui repartent vers Antenne Réunion. Didier Robert remonte au quatrième étage…