L’actualité de ces derniers jours a mis en lumière une évidence certaine en matière de résolution de conflits en situation de crise.
Comment expliciter à la population réunionnaise et notamment dionysienne qu’en « temps de paix sociale », les contrats de travail et notamment les contrats aidés accordés par les collectivités sont rares et qu’il suffit d’une « contestation collective » des jeunes en détresse pour que le politique-exécutif de la ville de Saint-Denis, trouve en moins de 24 heures, 10 contrats aidés ?
Miracle sur les quartiers de Bellepierre ! Les jeunes chômeurs, obtiennent illico-presto, des contrats jusqu’alors inexistants ! Des contrats existent bien. Mais où sont-ils et à qui sont-ils destinés ?
Tout porte à croire, aujourd’hui, que la violence et la contestation ouverte facilitent la mise à disposition des contrats. Incitation à la violence et au trouble ? La grille de lecture ci-après tend à apporter quelques repères sociologiques et politiques en matière d’émergence des conflits. Tous s’accordent à dire que les conflits à la Réunion sont potentiellement latents. Dans le cas d’espèce, quelles sont les origines de ces tentions ?
Force est de constater qu’en période électorale, les candidats tentent de séduire par tous les moyens, les électeurs et c’est peu dire !. Trop de promesses sont formulées pour « soudoyer les voix des électeurs ». Tout repose ici sur la notion de promesses voire d’engagement, de parole donnée. De prime abord, la parole donnée, dans toutes les cultures et dans toutes les civilisations, a quelque chose de sacré. Une des pires choses que l’on puisse dire d’une femme ou d’un homme, « elle ou il est sans parole », « sa parole ne vaut rien », en créole « un chargeur d’lo ». Car la parole donnée vaut contrat moral, bref le sens de l’honneur. Le contrat moral permet, notamment dans les relations d’affaires, de densifier le lien contractuel en l’assortissant de garanties dont la force obligatoire découle de la seule notion de réciprocité :
Cet acte sacré prend la forme d’une promesse, conventionnelle ou contractuelle par laquelle deux ou plusieurs personnes se lient. L’engagement peut également désigner un acte par lequel l’individu se lie lui-même dans son être futur, à propos soit de certaines démarches à accomplir, soit d’une forme d’activité, ou soit même de sa propre vie. L’engagement précise que la réciprocité des actes est le substrat même de la relation entre les individus.
Dans le cas précis de Bellepierre, la logique de la réciprocité n’a pas été respectée. Le maire s’était personnellement engagé lors des dernières élections législatives à octroyer des contrats. Il est donc sociologiquement et affectivement responsable. Être responsable d’une situation ou d’une action, c’est avoir à en répondre, c’est-à-dire en apparaître comme la cause et en cette qualité, à subir toutes les conséquences qui en découlent.
À vrai dire, la promesse implique la fidélité, qui comporte, selon sa signification induite, l’accord soutenu avec ce qu’elle affirme et vise la conformité du comportement avec la parole donnée.
Pour que l’engagement soit vraiment interpersonnel, il faut qu’il unisse deux promesses : si A s’engage vis-à-vis de B par des promesses individuelles qui touchent à la détermination de sa vie sur les besoins primaires (emploi, logement, contrat…), de son côté B s’engage vis-à-vis de A par son bulletin de vote et celui de sa famille. Mais comment la réciprocité est-elle possible ? Le sens de la démarche de A, c’est de prêter en quelque sorte sa propre vie à B et en même temps d’assumer la survie de B. C’est donc d’assumer dans son destin, sous sa responsabilité, le destin de B, et d’accepter que son propre destin passe désormais par celui de B, de s’en remettre en quelque sorte entièrement à B.
Curieusement, le citoyen sait qu’il s’agit d’un mensonge et qu’il sera manipulé, mais il s’y plie. Dès lors, il serait intéressant de comprendre pourquoi un sujet libre se comporte-t-il exactement comme un sujet soumis ? Les questions relatives à la distribution des contrats aidés et des logements sociaux par les politiques dans cette relation coercitive, peuvent constituer une première réponse. Le « manipulé » a peur de l’avenir, peur des zones d’incertitude qu’il ne maîtrise pas. Il tente de se raccrocher à une quelconque promesse, -même farfelue- qui lui confère une certaine sécurité d’esprit même éphémère, c’est une deuxième réponse.
Les vœux pieux ne sont-ils pas les nombreuses promesses politiques qui demeurent vaines ? La citation de W. Churchill résume à elle seule le cynisme de la chose politique : « un bon politicien est celui qui est capable de prédire l’avenir et qui, par la suite, est également capable d’expliquer pourquoi les choses ne se sont pas passées comme il l’avait prédit". Il y a dans l’engagement une valeur non discutable qui se traduit par la confiance garantissant la fiabilité entre les hommes. Le non-respect de la parole donnée génère de la frustration accompagnée d’un sentiment de trahison, d’abus de pouvoir et d’abus de faiblesse qui se confond souvent avec un viol de co-existence ou un viol de la confiance entre les personnes, car la morale (honnêteté, sincérité) et les promesses sont deux arbres qui appartiennent à la même racine endogène.
Peut-on objectivement, aujourd’hui avoir confiance dans les promesses du Maire de Saint-Denis ? Tous les jeunes chômeurs dionysiens ou tous les chômeurs doivent-ils se soulever pour enfin trouver un emploi à la Mairie de Saint-Denis ? Il est fort à parier que d’autres barrages similaires se multiplieront dans les prochains jours. Par cet acte de « rébellion », les dionysiens sont passés d’une contestation silencieuse à une révolution « manichéenne » légitime !
Margaret ROBERT MUCY