Carte blanche à l’économiste, docteur et agrégé d’économie - qui fut également à la tête de la liste "Refonder l’Université de la Réunion" -, Philippe Jean-Pierre.
Plaidoyer pour une autre Université de La Réunion
"Alors que les Assises de la recherche et de l’enseignement supérieur entrent dans leur phase finale, l’Université de La Réunion reste enlisée dans un contentieux électoral qui a pris racine dans l’organisation altérée du scrutin du 7 juin. D’aucuns pourraient penser à une simple bataille d’universitaires avides de pouvoir ou adeptes de la vision à court terme. Il n’en n’est rien. Cette situation, qui n’est pas sans rappeler sous certains angles celle caractérisant actuellement l’un des plus grands partis de France, témoigne d’un profond malaise et d’une véritable césure au sein de l’Université de La Réunion.
La confiance a disparu et a été malmenée par des passages en force. Comment en sortir et comment retrouver un chemin de croissance sain et durable ?
Une double démarche semble nécessaire : d’une part, faire respecter la loi dans son esprit, dans sa lettre pour rétablir la confiance et, d’autre part, sur cette base, fonder une nouvelle ambition pour notre université.
Effectivement, vouloir redonner à l’Université de La Réunion ses lettres de noblesses, invite bien entendu à une nouvelle ambition conforme aux évolutions de notre territoire et s’inspirant des conclusions issues des Assises. Mais cette ambition renouvelée ne pourra se faire sans, au préalable, une refondation du contrat moral qui doit guider chacun des acteurs de la communauté universitaire.
C’est dans cette perspective que s’inscrivent les actions menées par le groupe « Refonder l’Université de La Réunion » depuis maintenant dix mois, soit à travers la campagne pour le renouvellement des conseils centraux, soit sur le plan juridique pour faire respecter scrupuleusement la lettre et l’esprit de la loi.
Certes l’effort de pédagogie doit être permanent.
Ô combien de personnes, personnalités et observateurs se sont interrogés, ces dernières semaines, sur les raisons de notre obstination à nous positionner sur le terrain juridique ! Mais, certains d’entre nous, enfants du pays, enfants de La Réunion, élevés par celles et ceux mêmes qui, aujourd’hui, feignent de ne pas comprendre, nous leur disons : ne cédez pas à la tentation de la complicité soldée. Et nous leur disons également, soyez à la hauteur de ce que vous nous avez appris : le respect des lois et de la morale ; l’ambition pour le développement d’un territoire résilient qui depuis près de cinq siècles se recherche un avenir ; la persévérance pour que, ici à La Réunion, terre de tolérance et de cultures plurielles, toute personne qui le souhaite quelque soit son lieu de naissance, puisse être dévolue à toutes les responsabilités ! Oui, ne pas céder à l’achat de la paix sociale mais au contraire tout faire pour la construire dans le cadre du respect des lois de notre République et éclairé par les principes fondateurs émanant du siècle des Lumières. La Réunion, soixante cinq ans après sa départementalisation, doit, maintenant, à la fois conjuguer quantité et qualité de son développement. Si elle doit demeurer une terre d’innovations, cela ne peut s’appliquer au Droit qui reste celui de la République Française, une et indivisible.
Ce choix de porter les débats sur le terrain juridique est d’autant plus justifié que toute nouvelle ambition ne peut être envisagée sans une refondation des bases de fonctionnement qui rassemblent les acteurs de la communauté. Celles-ci sont aujourd’hui fragilisées car davantage marquées par la défiance et par des déviances organisationnelles plutôt que par le respect des textes, des lois, de leur esprit et de la lettre qui leur donnent sens. Cela est inacceptable.
A plusieurs milliers de kilomètres de notre centre névralgique, le continent, nous nous devons d’être exemplaires. Or, cela n’est pas le cas. L’organisation d’une élection telle que celle qui vise à renouveler les conseils centraux d’une université est un moment sacré dans le biorythme universitaire. On doit y prendre toutes les mesures afin de ne les entacher d’aucun soupçon. Malheureusement il n’en n’a pas été ainsi. Comme dans le Parti politique précité, plusieurs biais ont entamé la crédibilité du scrutin animé par un acteur qui a été juge et partie. Comme dans ce Parti, les commissions mises en places, supposées neutres ne l’étaient pas totalement. Comme dans ce Parti, la liste Refonder l’Université de La Réunion n’a jamais peu avoir accès au matériel de vote. Comme dans ce Parti des « changements » de dernières minutes ont conduit à déplacer des bureaux de votes, des électeurs, des inscriptions. Comme dans ce Parti, on a pu dénombrer un nombre important de procurations relativement au nombre d’inscrits. Comme dans ce Parti, le Président, à l’époque sans Conseils, n’a rien voulu entendre et est resté en place afin de profiter de cette posture « présidentielle ».
Comme dans ce Parti les appels à des commissions de recours, aux intentions obscures, étaient voués à l’échec. Comme dans ce Parti, la seule voie qui demeure pour le challenger reste celle du juridique puisque la mobilisation de l’autorité de tutelle s’avère inutile tant celle-ci n’osera jamais se désavouer. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les dernières élections organisées à la hussarde ont bénéficié de l’appui de cette autorité ? Pour illustrer ces déviances, prenons encore l’exemple du dernier Conseil d’Administration (15/11/2012) censé, selon la Loi (art 718-3 CE), réaliser une vraie élection du Président de l’Université pour que cours le mandat des administrateurs. Or, pour arranger une situation contradictoire, celle d’un Président proclamé avant les Conseils, seul un vote de confiance arrangeant, inconnu dans les textes de Loi, a été réalisé. Jusqu’à quand pourra-t-on accepter ces petits arrangements à géométrie variable ? Quoi qu’il en soit, tous ces mécanismes entament la légitimité de la gouvernance actuelle et annihilent la confiance.
Face à ce climat détérioré de l’environnement juridique, fonctionnel et institutionnel, ne rien faire reviendrait à accepter d’être une nouvelle fois complice d’une décrépitude de nos institutions et conduirait à cautionner les déviances organisationnelles maintes fois constatées. Il arrive un moment où il faut savoir dire NON. Ca suffit ! Seule la justice, peut dire le droit, interpréter les textes de lois et ainsi apaiser la situation. Ni les autorités de tutelle (dont on attend toujours les interprétations écrites de textes de Lois souvent confus), ni la gouvernance actuelle de l’Université ne peuvent faire loi.
C’est pourquoi, Refonder l’Université de La Réunion a décidé, depuis le 7 juin et face aux permanentes contorsions et contradictions des décisions prises par les autorités de l’Université, de s’en remettre à la justice pour que la règle soit redite. Quelle que soit la décision, alors, nous saurons prendre nos responsabilités et en prendre acte.
Parallèlement, à cette exigence de redressement juridique, ce plaidoyer pour une autre Université de La Réunion appel aussi à refonder son ambition. 30 ans après sa création, en université d’exercice pleine et entière, le compte n’y est plus. Les énergies sont évaporées. Les forces centrifuges dominent celles qui nous rassemblent. Les relations entre les acteurs basées normalement sur la confiance sont, au contraire, minées par la défiance, la menace et le chantage. En outre, face au défi social, notre réponse reste teintée de passivité, laissant l’impression que l’Université de La Réunion est aujourd’hui davantage utile à ses enseignants-chercheurs (pour une partie à la recherche de missions, d’évolution accélérée de carrière, de conforts en tout genre, de reconnaissances multiples,…) plutôt qu’à ses étudiants eux-mêmes séduits par une profusion croissante d’offre de formations alternatives. Cela ne peut durer. Un nouveau souffle doit être trouvé. Un changement de paradigme s’impose.
Ce changement exige néanmoins un autre préalable bénéficiant du respect des lois cité en amont : il s’agit aussi de refonder le contrat de confiance entre les acteurs de la communauté. En effet, comment appeler à un sursaut si ceux qui font la vie de l’Université au quotidien sont minés par la peur, sous la pression de la menace, de la sanction (les déclarations récentes du Président de l’Université dans la presse peuvent l’illustrer–JIR du XX novembre) ? Comment vouloir ouvrir l’Université à tous ses partenaires si les relations avec eux se tendent (cf. les partenaires du projet de l’université de Mayotte, les collectivités locales, les partenaires économiques,…). Non, un autre mode de gouvernance doit être choisi et être davantage guidé par la confiance en celles et ceux qui œuvrent pour le développement de notre Université à l’intérieur comme à l’extérieur de celle-ci. Et pour rétablir cette confiance, c’est là que le respect des règles, des lois dans leur esprit et dans leur lettre, prend tout son sens. Car comment vouloir avoir confiance dans celui qui ne joue que par l’arbitraire ou le fait du prince ? Certes nous pouvons espérer que la prochaine loi sur les Universités réduise cette toute puissance présidentielle mais, en attendant, nous voyons, une nouvelle fois, que l’éclairage de la justice s’impose pour que la confiance en nos lois soit rétablie.
Cette confiance réanimée, plusieurs chantiers peuvent alors être menés à la lumière des Assises de l’enseignement supérieur et des défis de notre territoire. Sur ce plan, l’ambition pour le territoire ne doit pas être opposée à ce que certains, curieusement, appellent « le régalien » (l’enseignement supérieur n’est en aucune manière un pouvoir régalien). Non, il n’y a pas de dichotomie. Au contraire, les deux dimensions s’entrecroisent et nous rassemblent. Une université, au XXIe siècle, s’inscrit dans un univers globalisé et doit y faire face mais elle est aussi implantée sur un territoire et doit lui être utile.
A l’instar d’une Europe qui serait aujourd’hui une Europe des Régions et non plus seulement des Nations, notre Université doit pouvoir adresser un message fort et clair de solidarité à son territoire d’accueil sans qui elle ne serait pas. De même, nous ne pouvons opposer l’Université et les entreprises comme nous ne pouvons opposer une noble recherche aux dimensions internationales et une vulgaire recherche aux contours locaux. Il en va également ainsi de l’opposition recherchée entre le financement national considéré comme vertueux et le soutien de collectivités locales, qui serait pour certains entaché de vices. Cela serait faire preuve d’irresponsabilité et de courte vue. Le principe de subsidiarité invite au contraire à une plus grande confiance envers les acteurs de son territoire, charge à nous de démontrer notre utilité.
Fort de cette ouverture retrouvée et redimensionnée, de cette gouvernance articulée autour de la confiance, l’Université de La Réunion doit refonder son ambition en matière de formation et de recherche.
Au niveau de la formation les choix doivent être clairement énoncés. Dans un contexte de mobilité souhaitée pour une partie de notre jeunesse, les attentes qui s’adressent à l’Université de La Réunion ne sont plus similaires à celles des années 1980. Le défi est aujourd’hui double. Il est humain et social. Il est humain car l’Université de La Réunion doit rester l’institution qui transforme la jeunesse de son territoire en lui permettant de s’insérer dans le monde de demain tant sur le plan des savoirs techniques que du savoir-être.
A ce niveau le catalogue des formations doit être revisité afin de mieux appareiller l’offre de formation en Licence et en Master avec les besoins des marchés du travail sans entraver ni esprit critique ni capacité migratoire des étudiants qui doivent rester au centre de nos choix. Et, concernant les formations doctorales, l’Université a un devoir impérieux de revoir ses actions en direction des Docteurs qu’elle forme. Continuer à les maltraiter est une double faute, à leur égard évidemment mais aussi c’est donner à leurs proches, comme aux autres étudiants, un signal épouvantable. Cette transformation de la jeunesse passe aussi par la réaffirmation du rôle central de notre Université comme pilier de la formation des enseignants. Il nous faut rapidement reconstruire cet outil malheureusement dépouillé depuis cinq ans. Cet enjeu est crucial car il dépasse les clôtures de l’Université qui joue là un rôle sociétal majeur pour le changement des mentalités des futurs précepteurs et des futurs citoyens.
En 2012, La Réunion doit pouvoir avoir confiance en sa jeunesse pour que celle-ci forme les générations plus jeunes et les sensibilise aux futurs défis du territoire (environnemental et énergétique, économique et social, culturel, managérial). Ce défi est aussi social car l’environnement économique et social qui entoure notre Université est singulier. La cloche démographique n’est pas encore franchie et nous devons répondre à une demande croissante d’étudiants aux projets de vie incertains ou fragilisés. Bien sûr les plans nationaux « Réussir en licence » ont tenté d’apporter des réponses. Bien sûr la nouvelle loi visera à modifier le projet licence mais il risquerait d’être encore insuffisant pour faire face au défi social. Celui-ci invite à un sursaut de tous les acteurs afin qu’un chantier aussi titanesque que celui de la « route du littorale » soit entrepris. Sinon l’Université de La Réunion pourrait s’avérer être une bombe humaine en construction. Un « plan régional réussir en Licence » devrait pouvoir prendre le relai des plans nationaux. Une véritable chaire entrepreneuriale touchant plusieurs formations techniques devrait être mise en place. Les publics auxquels nous devons apporter des réponses sont variés et nous devons être en mesure de leur offrir une propédeutique différenciée. Ces évolutions ne pourront avoir lieu sans moyens. Une véritable solidarité, reliant les dotations nationales, les soutiens des collectivités locales et les fondations entrepreneuriales s’appuyant sur des outils adaptés de défiscalisation, peut être avancée comme solution. Nous devons le réaffirmer : comme en 1982, Le capital humain est une richesse pour un territoire. Il doit bénéficier d’un véritable effort d’investissement comme d’autres secteurs ou facteurs économiques et ne pas être vu comme un obstacle ou une dépense. La Réunion doit retrouver la confiance en sa jeunesse et savoir le lui montrer. Les responsables de l’Université de la Réunion doivent aussi en prendre la pleine mesure et se montrer à la hauteur des enjeux cruciaux pour le développement durable de cette terre française de l’océan Indien.
Au niveau de la recherche, les objectifs doivent viser aussi à concilier les multiples dimensions de la recherche sans en entraver son excellence. Là aussi la confiance en est le socle. Comment imaginer développer toutes les énergies de nos 500 collègues enseignants et chercheurs si les moyens octroyés à ceux-ci se font, ou dans l’opacité, ou selon une ligne de conduite visant à renforcer les effets inégalitaires promus par la concentration des financements de la recherche basée sur des appels à projets ? Ces nouveaux modes de financement, alourdis par le millefeuille de l’écosystème de la recherche, conduisent à un changement de paradigme. Ils s’avèrent peut–être utiles pour stimuler le goût pour la recherche chez nos partenaires extérieurs. Ils incitent à conduire des partenariats utiles dans un monde de coûts fixes importants. Mais, toutes les parties internes de l’Université de La Réunion ne sont pas sur le même pied d’égalité pour aborder cette nouvelle donne. L’Université doit alors s’inscrire dans une conduite du changement progressive et accompagner tous les collègues à mobiliser ces nouvelles sources de financement. La simplification des procédures et la remobilisation de toutes les énergies des enseignants-chercheurs s’avèrent être cruciales pour permettre à notre institution de s’inscrire dans une double dimension : une recherche efficace, selon les normes internationales, selon les critères d’éthiques, et utile à ses partenaires privés et publics et au territoire dans son ensemble. Oui, tout le territoire, comprenant La Réunion et la zone océan Indien, notre environnement stratégique, doit faire l’objet d’une attention et d’une approche volontaristes. Cette ambition refondée de la recherche invite également à rétablir la confiance dans les décisions du Conseil Scientifique animées selon des règles co-construites et respectées par le Conseil d’Administration et le Président. La recherche plurielle est la clef pour reconstruire l’attractivité émoussée de l’Université de La Réunion. Cette recherche revitalisée est à la base de l’utilité même de notre université car en aidant le territoire à créer son avenir, en repoussant les frontières de la connaissance, elle génère de nouvelles compétences, de la confiance chez ses citoyens et construit ainsi la dynamique d’innovation conforme au projet « Europe 2020 ».
En conclusion, à l’heure où se concluent les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’Université de La Réunion ne peut se payer le luxe de travestir la réalité sur sa gouvernance, ses orientations, ses paralysies. Même si plusieurs acteurs s’emploient aujourd’hui à masquer cette forêt de difficultés, d’autres ont choisi de construire l’avenir en posant les problèmes sur la table et en y apportant des réponses depuis plusieurs mois. En accompagnant le groupe Refonder l’Université de La Réunion, j’ai fait le choix du second groupe et du courage, de la résistance aux sirènes du confort. A l’heure où nos voisins mauriciens se donnent comme projet d’être le hub de la connaissance de l’océan Indien avec pour ambition d’accueillir 100 00 étudiants, tout choix qui viserait à se renfermer sur ses acquis, sur ses déviances et sur la défiance serait une erreur.
De même toute posture visant à ne pas s’ouvrir au Monde, à la région et aux nouveaux partenariats serait irresponsable. Au contraire, il s’agit d’œuvrer pour faire émerger une autre Université de La Réunion en lui redonnant une vision et une ambition globale de ses positionnements géographiques et thématiques, en lui confiant des objectifs volontaristes de performance, et en refondant son fonctionnement autour des principes de la bonne gouvernance et de la morale. L’Université de La Réunion n’est pas un refuge ou un abri pour « oiseaux de passages » comme aimait le citer De Fos du Rau. Elle est au contraire une source inépuisable de création de talents et de valeurs pour permettre à La Réunion de se projeter au milieu du XXIè siècle.
Philippe JEAN-PIERRE, Professeur des Universités".