La course transatlantique la Route du Rhum a lancé son top départ le 9 novembre dernier. Parmi les skippers, le Réunionnais Victor Jost, 27 ans, fait toujours partie de la course en 30e position et il a parcouru 66% du trajet. Il donne de ses nouvelles dans son journal de bord.
Bonjour à tous !
Si on dézoome un peu la carte, il me semble que je suis bien au beau milieu de nulle part.… haha. Je commence à vous écrire ce mail alors qu’un gros grain me passe en plein dessus. Est-ce un affront que je fais à ce gros nuage ? Non, je pense que ça devrait le faire, j’ai abattu un peu et j’ai choque la grand-voile. Mais bon, le vent monte fort jusqu’à 33 nœuds, j’ai vu il y a quelques minutes. Il vaut mieux regarder ce mail que les afficheurs ça m’évite de stresser. Vais-je me faire punir ? Réponse à la fin du mail !
En fait, mon quotidien dans les alizés c’est ça :
- Oh non le bateau n’est pas assez puissant il faudrait que je mette un spi plus grand.
- Oulala c’est quoi ce grain ? Heureusement que j’ai gardé le petit spi !
Contrairement à ce que l’on a vécu sur la Transat Jacques Vabre l’année dernière, je fais face à des grains en permanence. C’est assez éprouvant parce qu’un grain c’est violent, à ma surprise il y a une grosse mer qui se forme en dessous, et surtout c’est un peu aléatoire. Ça frappe sans prévenir. Enfin si je pourrai regarder en permanence dehors, la journée, pour les voir venir, mais la nuit en revanche, il n’y a rien à faire. Il y aurait le radar qui les voit bien, mais le mien ne fonctionne pas. Je tente de télécharger des images satellites, mais je ne trouve pas que ça me donne beaucoup d’informations. Donc, je subis.
Lors du passage d’un grain, le vent tourne fortement dans un sens. Si je suis de la bonne amure (je prends le vent du bon côté), ça peut être très avantageux. Dans l’autre sens c’est très embêtant. Il faudrait empanner, mais bon, il y a beaucoup de vent, ça ne se fait pas comme ça en claquant des doigts. À l’instant même, je prends mon mal en patience et j’attends que ce gros nuage passe.
Je me sens épuisé. Pourtant, cette nuit, il ne m’est rien arrive de fou. J’ai pu me reposer, mais je ne sais pas pourquoi je suis quand même très fatigué. En fait, ce qui me manque vraiment, c’est de pouvoir lâcher. Se relaxer quelques heures en se disant que rien ne peut m’arriver. Je suis toujours sous tension et je crois que c’est ça qui est usant sur le long terme. Ces derniers jours, je crois que j’ai trop rêvé de l’arrivée, du coup elle me parait très loin encore. Donc j’ai décidé que je n’y penserai plus jusqu’à nouvel ordre. Enfin je vais essayer.
Ah ! À ce moment-là, du mail le grain est passé ! Je suis à son arrière, il y a une grosse molle. Le vent est passe à 17 nœuds. Je reviens, je vais border un peu et lofer.
Hier soir, j’ai eu droit à un sacré spectacle. Un grain énorme au coucher de soleil, une mer démontée : c’était dantesque. Je faisais des surfs de folie qui duraient jusqu’à 30 secondes. C’est énorme !
Aujourd’hui, j’ai eu le cliché des alizés : un poisson volant mort sur le pont, et des bancs de poissons volants qui planaient autour de moi. Et surtout j’ai vu mes premières sargasses. Bon des tout petits morceaux pour l’instant, mais ça commence comme ça.
Comme il commence à faire vraiment très chaud, j’ai installé le pare soleil que Bastian m’a fabriqué. C’est trop bien ! Ça a maintenu une certaine fraîcheur dans le bateau ce matin en évitant le soleil de taper plein fer dedans. Je laissais même pendre une des deux toiles pour faire un gros rideau à l’entrée du bateau.
Sinon niveau gastronomie, je me suis préparé le seul et l’unique rougail saucisse que j’avais à bord ! Un plat appertisé donc pas lyophilisé qui se fait réchauffer au bain marie. Ils n’avaient pas prévu le riz avec, mais pas de soucis, j’avais prévu plein de sachet de riz blanc lyophilisés. Et franchement.... C’était hyper bon ! Ce n’était pas une vraie portion créole, c’était même un peu léger, mais ça m’a bien réchauffé le coeur.
En divertissement, j’ai quasiment fini mon livre, il va falloir en choisir un nouveau. Je regarde un peu de film, mais pas beaucoup. J’essaye d’écouter des podcasts, à terre en voiture ça me plaît bien, mais là je n’accroche pas tellement.
Je ne sais pas ce que je pense réellement de la solitude. En fait ça a un côté très agréable, de faire les choses à son rythme comme on le ressent. De s’écouter et prendre soin de soi. Pour la confiance, c’est génial car pour le coup, on est vraiment livré à nous-même. Parfois, la nuit, je somnole et je sens qu’il faut changer un petit réglage et instinctivement, je n’ai pas l’impression d’être seul et je me dis que quelqu’un d’autre le fera. Jusqu’au moment où je réalise que non... c’est moi ou personne d’autre là. En revanche, je crois que lorsque je passe autant de temps seul, mon humeur est vraiment très variante, c’est assez impressionnant. Moi qui suis assez stable normalement à terre, là ça fait un drôle d’effet et c’est incontrôlable. Je sais que pas mal de monde à terre vivent comme ça avec les émotions qui peuvent changer du tout au tout en une journée. Pour moi, c’est très perturbant.
Voilà voilà, les jours passent avec tout ça. Le grain aussi... Je ne me suis pas fait punir de lui avoir tourné le dos pour vous écrire. Tant mieux.
Je vous souhaite de passer une excellente semaine ! Bises a tous !
Victor