Yvan Combeau fait le bilan de la vie politique de Jacques Chirac.
Jacques Chirac "aime" l’outre-mer. Derrière cette formule, cette expression, reprise lors de multiples interventions, il faut essayer de saisir les réalités d’une relation, d’une politique qui dépasse la seule référence à "une passion chiraquienne".
En fait la Chiraquie dans les outre-mers s’est constituée par une succession de discours et d’actes sur le temps d’un septennat et d’un quinquennat (1995-2007) traversés par une longue cohabitation (1997-2002).
S’il faut pour l’heure ne retenir que deux axes de l’action, et du bilan, du président Chirac, ils se nomment égalité sociale et projets institutionnels.
En 1995, la campagne du candidat Jacques Chirac se mène sur le thème de la "Fracture sociale". Le libéral de 1986 et de la cohabitation 1986-1988 ouvre une nouvelle page de son parcours.
Et à La Réunion, Jacques Chirac élu porte la question sociale sur le devant de la scène politique avec l’engagement de l’égalité sociale. Dans le contexte des années 90 avec la double victoire de FreeDom aux régionales de 1992 et de 1993, s’impose le débat sur l’égalité (des salaires horaires, des prestations sociales…) entre les départements ultra marins et la métropole. Au début de l’année 1996, le rattrapage qui marque l’histoire de la départementalisation depuis 1946 trouve une conclusion symbolique avec le salaire minimum SMIC et l’alignement des prestations dans les DOM. Reste encore un blocage évident sur le RMI pour que cette égalité annoncée soit effective. Par delà l’exigence sociale devant les chiffres du chômage, le président Chirac porte son discours sur une autre perspective domienne qui est "l’égalité des chances" visant à ne pas laisser comme un "angle mort" les territoires de l’outre-mer ( "faire en sorte que, sur cette terre de France, chaque enfant puisse se dire qu’il a une chance égale d’arriver, d’être heureux, de s’épanouir, de former un foyer, de travailler, d’améliorer sa situation, d’enrichir sa culture").
Un an après (1997), un projet porté par gouvernement Juppé soulève une large partie de la fonction publique. Le dispositif qui prend le nom du ministre de l’outre-mer de 1995 à 1997 (Jean-Jacques De Peretti) vise à faire disparaître la sur-rémunération des fonctionnaires. Le gouvernement est venu sur un terrain social et politique où il va être bousculé. Le projet de loi va déclencher des mouvements d’oppositions qui vont conduire le gouvernement bien que soutenu par de nombreux leaders politiques locaux à reculer avant que l’annonce des élections législatives anticipées (juin 1997) viennent tout interrompre. Les manifestations ne sont plus à l’ordre du jour. La vie politique est désormais dominée par la campagne des législatives qui va donner à la gauche les clés de Matignon ouvrant une co-habitation de 5 années. A La Réunion, sur les cinq députés élus quatre sont de gauche.
Sur le terrain institutionnel, Jacques Chirac accompagne son discours sur l’égalité sociale d’une reconfiguration de l’outre-mer qui devient logiquement dans ses déclarations un ensemble de territoires. En 2000 (mars), le président Chirac, affirme que "les statuts uniformes ont vécu et chaque collectivité d’outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte, un statut sur mesure”. La pluralité ultra marine doit s’imposer à travers des trajectoires distinctes selon les territoires et surtout la volonté politique des populations. En 1996 pour les 50 ans de la départementalisation, le schéma d’une vision unique de l’outre-mer volait déjà en éclat. Sur ce chemin, Jacques Chirac, bon connaisseur de l’outre-mer, à l’écoute des réseaux et des édiles de la chiraquie ultramarine, sait devoir distinguer les attentes et les projets aux Antilles, dans l’océan Indien ou le Pacifique.
A La Réunion, le débat sur la bi-départementalisation illustre cette reconfiguration qui semble réunir Lionel Jospin et le président Chirac. Le dessein partagé réveille un passé et une histoire de La Réunion marqués par les confrontations sur le statut. Le projet de deux départements occupe pendant plusieurs mois le devant de la scène réunionnaise. Discours, coalitions, manifestations et contre-manifestations soulignent l’intensité des désaccords et des confrontations internes à la vie politique réunionnaise. Tant de bruit pour cela ! Le projet s’achève par un repli, pour ne pas écrire une déroute, à l’Assemblée nationale. A la demande des 5 députés réunionnais qui appuyaient pourtant la création de deux départements , l’exécutif bicéphale retire la "bidep". Les élections municipales de 2001 comme les sénatoriales réunionnaises de 2001 vont d’ailleurs montrer le poids des opposants à la création de deux départements.
C’est sur une autre voie, après sa ré-élection en 2002, que Jacques Chirac revient à l’institutionnel avec la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Portée par le premier ministre Raffarin, installée avec les assises régionales des libertés locales, la révision affirme une organisation décentralisée (une nouvelle décentralisation depuis 1982-1983) avec un ensemble de dispositions constitutionnelles relatives à l’outre-mer visant à conjuguer la pluralité des outre-mers au sein de la République. Dans ce débat La Réunion va faire entendre une voie singulière qu’exprime l’amendement dit Virapoullé du nom du sénateur de Saint André. Le débat sur cet amendement court toujours...