Emmanuel Lafont est un curé hors norme. L’homme maîtrise 7 langues (dont le latin, l’hébreu, l’araméen, le grec, le soutou et le zoulou), et il détient les plus hauts diplômes de l’Institut biblique pontifical de Rome. Ses bonnes relations avec la Jeunesse Ouvrière Chrétienne le propulsent curé de Soweto (South West Township), dès 1985, en plein apartheid sud-africain. Il y restera prêtre dix ans. Surnommé : “le Père La Force”, il est plusieurs fois menacé d’expulsion, la dernière en août 89, quelques mois avant la libération de Nelson Mandela.
Monseigneur Emmanuel Lafont, la vie d’un curé à Soweto : ça ressemblait à quoi dans ces années là ?
C’était une double vie si j’ose dire. D’une part comme curé d’une paroisse je devais m’occuper de la vie spirituelle de la paroisse, de toute la pastorale des jeunes, des enfants, des adultes, des malades, des mourants, donc la vie normale d’un curé. Mais j’étais en plus dans une cité qui était en plein désarroi, et sous une oppression qui se durcissait chaque jour.
Toutes les organisations y étaient interdites de séjour entre 1895 et 1990, et donc les prêtres et les pasteurs qui l’acceptaient étaient sollicités par le peuple pour pour être auprès de ceux qui souffraient de la mort d’un ami, de la mort d’un autre.
Etiez-vous le bienvenu pour le pouvoir ?
Pas toujours. Mais la situation était devenue tellement ingouvernable que le pouvoir a bien dû composer. Il ne tenait plus tout en main. Vous savez, j’ai été sollicité par la population pour reconstruire un lycée d’état, via un organisme élu par les parents contre la volonté du pouvoir, et qui traitait directement avec des architectes, des entreprises et qui cherchait de l’argent directement dans le pays et qui choisissait lui même le principal… Enfin vous voyez, nous étions dans une situation abracadabrantesque comme diraient certains !
Vous êtes-vous senti en danger à Soweto ?
Nous étions tous en danger. Moi pas plus qu’un autre et je dirais que j’étais plutôt protégé par ma situation de citoyen français. Mais j’ai essuyé le feu comme beaucoup, et je me suis relevé avec tout autour de moi des amis qui avaient été tués ou blessés.
On a voulu m’expulser du pays en 1989 et j’ai été retenu par les cheveux grâce au travail de l’ambassadeur de France. C’est comme tout le monde, j’ai perdu quatre voitures dont deux prises à mains armées, j’ai eu un hold-up à la maison… Enfin bon c’était le lot commun de tout le monde, je ne vois pas pourquoi nous y aurions échappé.
Quelles images fortes retenez-vous de cette expérience ?
D’abord l’amitié des gens, de cette population qui immédiatement faisait la différence, et qui ne regardait pas d’abord la couleur de la peau mais si j’ose dire le cœur et l’ouverture des mains.
Je retiens leur capacité de résistance incroyable qui fait que même au plus fort des difficultés, on continue de sourire, de se marier, d’avoir des enfants, de croire dans l’avenir de la vie. Je retiens Desmond Tutu qui au milieu de tout ça, ne cessait de dire “nous serons libres et quand nous serons libres, et les blancs aussi seront libres“.
Je retiens l’immense humanité de Nelson Mandela qui était adoré dès l’instant qu’il est sorti de prison. Il s’est imposé par sa stature mais en même temps par sa proximité. C’est un homme tout à fait joignable. Il avait ce désir de rencontrer les gens et de les écouter. Je retiens tout ce qui était beau en fait.
Etes-vous un curé activiste ?
Ecoutez, oui. De toute façon je ne pouvais pas me sentir un curé assis au bord du chemin en train de regarder les autres se battre en comptant les points. Cela m’était insupportable.
Retrouvez le podcast de l’émission “Point de vue” sur le site www.antennereunionradio.