Cela faisait plusieurs semaines que les planteurs de l’Est et du Nord attendaient de pouvoir venir livrer leurs cannes aux aurores. Plusieurs semaines qu’ils n’avaient pas pu se retrouver tous ensemble devant l’usine à attendre leur tour. Ce matin, c’était à celui qui stationnerait son tracteur le premier devant la balance de Bois-Rouge…
Jamais les planteurs n’auront eu autant le sourire aux lèvres avant de commencer une journée de travail. Le premier tracteur est arrivé à 2h00 du matin. Jean-Marc Payet sera le premier à décharger ses tonnes de canne :
« Lé bon nou lé content ! le travail i reprend, nou té fatigué de rester la case avec la tête qui travaille à la place des mains… »
Il n’est pas seul, les autres sont arrivés derrière lui en un temps record. En moins d’une heure, une impressionnante queue de tracteurs encombre l’aire de stationnement et congestionne toute la petite route d’asphalte gondolée, jusqu’à l’entrée du temple de Bois-Rouge…
De son côté l’usinier a affirmé hier que les machines sont entrées en phase de production maximale. Tout est fait pour rattraper au mieux le retard accumulé. L’usine de Bois Rouge a d’ailleurs prévu de passer de 48 000 tonnes semaine à 49 500 tonnes.
Elle fonctionnera aussi une partie du week-end. La campagne s’étalera au moins jusqu’à la fin du mois de décembre...jusqu’aux fêtes...
...Au loin des éclats de rire déchirent la pénombre. Dans la file d’attente d’autres planteurs se sont regroupés pour déjà partager une baguette de pain encore tiède.
Une cuisse de poulet, et une hanche dans la même main, un quignon dans la bouche, un des hommes affirme bruyamment :
« Même si nous passe en dernier, lé pas grave ! l’essentiel c’est que le travail i reprend et que l’argent i rentre dans nout’ poche ! ». « …Oui honnêtement dans nout’ poche !" reprend haut et fort un autre homme à la tête vissée dans le col remonté de son bleu de travail.
Le temps est encore frais. Un nuage ocre plane au dessus de la centrale de Bois-Rouge. Certains hommes muets n’arrêtent pas de fixer les chaudières qui crachent. Ils ont l’air hypnotiser… Ou peut-être ont-ils peur que les machines ne s’arrêtent une fois encore…