Gilbert Annette, maire de Saint-Denis et secrétaire de la fédération socialiste de la Réunion, était l’invité de Jean-Marc Colienne pour le premier numéro de l’année 2011 de Face à l’Info. Avec lui, nous revenons sur l’actualité de la semaine, et notamment sur les violences qui ont touché l’île ainsi que sur la situation de l’emploi et de la jeunesse.
Le fait de la semaine, c’est sans doute la violence à la Une de nos journaux. Le meurtre de Laurent Catherine à Saint-François, un professeur retrouvé poignardé à Saint-Denis, un quinquagénaire blessé à mort sur un parking au Chaudron, un homme qui frappe à coups de sabres les parents de son ex-compagne. Trouvez-vous choquant de poser la question : est-ce que la violence est une maladie réunionnaise ?
Une partie de la violence s’explique par l’histoire de la Réunion, par la situation réunionnaise. C’est une partie réunionnaise qui est inquiétante. Et il faut mettre en oeuvre des remèdes profonds. Nous travaillons, notamment en matière d’éducation. Cette société souffre. Les acteurs de la violence sont en grandes difficultés. Il faut donc agir de manière profonde dans cette société et cette dégradation est un des indicateurs de la dégradation de la situation sociale réunionnaise.
Pensez-vous que les hommes politique doivent intervenir sur ces questions là ?
Tout à fait puisque c’est un problème grave de la société réunionnaise. C’est un problème qui est en train de s’étendre. Et c’est un problème pour lequel hélas il n’y a pas de solution facile. C’est une thérapeutie de longue haleine et il faut s’y employer. Globalement, la Réunion n’est pas une région où le taux de délinquances est important. La ville de Saint-Denis est comparable à la ville de Nîmes. Nous avons un taux de délinquance de moitié du taux de Nîmes. Donc il n’y a pas plus de délinquance qu’en métropole. Il y a une forme de violence, notamment familiale, faite aux femmes et qui est la honte de la Réunion. le nombre de femmes battues est vraiment le signe d’une société et d’un malêtre réunionnais.
Un des éléments, c’est cette jeunesse. Vous avez connu vous Johnny Catherine ?
Oui bien sûr, je l’ai connu, je l’ai même employé à la ville de Saint-Denis.
Est-ce que ce n’est pas le symbole de rêve brisé de nombreux jeunes, ce rêve de gloire, d’argent, de puissance, avec au bout du compte, souvent, un cruel retour à la réalité quand une carrière sportive s’achève ? Est-ce que ce n’est pas difficile à gérer ça ?
Oui, on a des exemples de grandes stars en métropole qui ont échoué ensuite. Mais je pense que pour Johnny Catherine, ce phénomène là reste exceptionnel. Il y a à côté de ça une forme de désespoir qui s’installe dans la jeunesse réunionnaise. Il faut le dire et le répéter : 55% de chômage chez les jeunes, c’est le record de toutes les régions d’Europe. C’est un chiffre qui est équivalent au chômage des jeunes en Tunisie. C’est un drame terrible qui se déroule dans l’indifférence générale. Notre société doit prendre à bras le corps ce drame qui touche notre jeunesse. C’est une page noire de l’histoire de la jeunesse réunionnaise. Jamais dans l’histoire de la Réunion les jeunes n’ont été désespérés.
Vous avez eu à gérer, il y a maintenant 20 ans, les événements du Chaudron. Est-ce que maintenant vous vous dîtes : c’est fragile, cette crise sociale, cette hausse du chômage pourrait déboucher sur des explosions sociales ?
Tous les jours je considère que la situation de la Réunion est fragile. Il y a une facette de la Réunion : vivante, dynamique. Et il y a un autre aspect de la Réunion, plus caché, où se nouent des drames et où la situation est catastrophique. Nous, nous devons globaliser la situation. La situation de la Réunion est fragile nous le savons, avec ce taux de chômage, cette désespérance, ce nombre de personnes désespérées. Nous, nous attirons l’attention du gouvernement pour ne pas attendre le drame, ne pas attendre la rupture, ne pas attendre que les éléments se déchaînent, pour réagir. Aujourd’hui, il faut répondre par un dispositif nouveau pour répondre à l’attente des jeunes.
On a vu les chiffres : un peu moins de 13% d’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi à la Réunion. On a l’impression pour l’instant que ça reste des statistiques froides, des chiffres. Que ces demandeurs, on ne les entend pas, on ne les voit pas.
Moi je suis souvent sur le terrain au contact des gens. Ce sont à chaque fois drames, des centaines, des milliers de drames. Aujourd’hui, il y a un nouveau phénomène. Tous ces chômeurs de la crise économique, qui ont épuisé leurs droits de l’Assedic, viennent vers nous pour un contrat aidé. Donc nous avons une nouvelle catégorie de chômeurs qui était active, dynamique, notamment dans le bâtiment. La situation réunionnaise est vraiment catastrophique, il faut réagir.
Petite information anecdotique. Cette semaine on apprend que 8% des kinésithérapeutes sont espagnols. Est-ce qu’il n’y a pas un problème, à savoir un manque d’adéquation entre les gens que l’on forme et les boulots qu’il y a sur le marché ?
Absolument. Il y a un problème d’ajustement, qui n’est pas facile. La planification de la formation par rapport aux emplois n’a pas toujours réussie. Mais il y a un effort à faire la dedans et puis il y a ce phénomène que la Réunion doit intégrer : nous appartenons à l’espace européen. Il y a la libre circulation des travailleurs européens. Nous devons donc impérativement hisser notre niveau de qualifications pour faire face à la compétition et à la compétitivité européennes. Il faut le dire, et je le dis au recteur : quand nous sommes l’avant dernière académie au niveau des évaluations de CM2, notre outil de formation est faible dès le départ, dès le primaire. Puisque derrière la Réunion, il n’y a que la Guyane et, un peu après, mais c’est détaché, Mayotte. Toutes les autres académies ont des meilleurs résultats que nous. Donc il faut mettre le paquet sur l’éducation, la formation, la qualification.
Est-ce que vous dites aux jeunes : il faut partir, il faut aller se former ailleurs, au risque de ne pas revenir, au risque que les meilleurs s’en aillent ?
Oui, je le dis aussi quand je constate de visu que le jeune a les éléments minimums pour partir, parce que tout le monde ne peut pas partir. Mais une partie des jeunes doit partir, doit aller s’aguerrir, doit aussi aller chercher un emploi. C’est plus facile, même si c’est difficile en métropole. Le taux de chômage en métropole il est de l’ordre de 9%, ici il est de plus de 28%, soit trois fois plus. Donc, il y a schématiquement trois fois plus de chance de trouver un emploi en métropole, donc il faut faire cet effort, il faut se battre, en espérant revenir mais ce n’est pas une assurance. Il ne faut pas mentir aux jeunes. Il en faut pas leur dire : vous partez, vous reviendrez. Il y a des possibilités, mais ce n’est pas une garantie.
On a l’impression qu’on progresse et que des jeunes réunionnais accèdent à des postes à responsabilités. Est-ce que les choses ont commencé à vraiment changer ?
Elles évoluent trop lentement. Je pense qu’on n’a pas trop changé les règles. Je pense qu’il faut un effort pour augmenter l’encadrement réunionnais.
Comment faut-il faire ? Il faut réglementer vous pensez ?
Il faut des incitations, il faut réglementer aussi. Mais je pense qu’aujourd’hui les anciens réflexes sont présents. Il y a beaucoup de Réunionnais qualifiés, qui sont en dehors de la Réunion qui ne reviennent pas. Et ceux qui sont là ne trouvent pas facilement parce que la société réunionnaise ne favorise pas l’émergence des Réunionnais aux postes à responsabilités. Et là, l’Etat doit aménager les règles pendant une période de transition, une période de 10 ou 20 ans pour faire émerger l’encadrement réunionnais.
L’intégralité de l’interview est à suivre en vidéo. Jean-Marc Collienne et Gilbert Annette évoquent notamment le sort des deux géants de l’automobile à la Réunion : Foucque et Caillé.