Si aujourd’hui les élections municipales sont rythmées par les voitures sono et que le scrutin se déroule sans incidents, la donne n’était pas la même il y a quelques dizaines d’années. Paroles de gramounes.
Les municipales lontan ont marqué les esprits des personnes âgées. Sabotages, bagarres, rassemblements qui dégénèrent, bourrage des urnes... Les élections municipales à La Réunion ont traversé le temps en ramenant avec elles, des souvenirs pas toujours glorieux.
A l’époque, les élections étaient avant tout une affaire d’hommes. Les femmes étaient en effet invitées à rester au domicile le jour du scrutin. Mais peu importe les âges et les époques, l’échéance électorale a toujours été un moment de fête. "Té i donne à manger, té i donne à boire, té i fé la fête jusqu’à le soir", raconte Marie. La femme de 62 ans confie avoir profité de l’ambiance des scènes de liesse, malgré les réticences de la gente masculine. "Maintenant lé mol, na pu l’ambiance comme avant", regrette toutefois la sexagénaire.
Pour d’autres, les élections laissent un mauvais souvenir. Lic, 77 ans, se souvient des élections lontan. Le gramoune ne retient qu’une chose : la pression. Il n’était pas rare en effet que les électeurs se fassent interpellés dans les bureaux, pour orienter leur vote. "Ou na poin le droit allé vote là bas vote là", se rappelle le Sainte-Suzannois. L’homme choisi aujourd’hui de faire entendre sa voix, celle qu’il n’a pas pu exprimé lors du scrutin. "Ma di : a ou comande a moin ? Ma la trape le papier ma la déchiré ma la sorte deor", raconte-t-il.
A l’époque, les bagarres et les émeutes étaient légion. La mémoire d’Yrvin reste marquée par les coups. Le gramoune de 80 ans raconte la bataille pour aller voter. Ses proches et lui étaient obligés d’aller aux urnes en groupe pour éviter de se faire tabasser. "Surtout koz pa si ou l’avé un chemiz rouge té trape a ou té i déchire le chemiz et té eskinte a ou", relate Yrvin, se remémorant les coups de pieds dans les côtes qu’il a reçu. "Avant ça té plis sérieu koméla z’élection dison le rêve", lance l’octogénaire avec ironie.
Certains affrontements entre la droite et la gauche ont tourné au drame. On se souvient de Rico Carpaye, écrasé par une voiture le 14 mars 1978, à l’âge de 17 ans. Le jeune portois était présent lors d’une manifestation qui opposait les sympathisants de Paul Vergès et ceux de Paul Bénard.
36 ans après, Virgile se souvient. L’homme âgé aujourd’hui de 67 ans était dans la foule au moment de l’accident. "Lorsque le convoi est passé, il y a eu une camionnette qui a foncé sur la foule".
Dans le chef-lieu, le spectre d’Alexis de Villeneuve plane encore à l’approche des élections. L’homme a été tué par balles, lors d’un meeting, le 25 mai 1946. D’abord condamné, Paul Vergès, son adversaire, est ensuite amnistié.
La politique divise depuis toujours. Ces tranches de vie illustrent l’évolution des élections municipales dans les esprits. Des esprits encore remplis d’histoires à raconter.