A travers dix questions clés portant sur le premier tour de l’élection présidentielle 2012, Yvan Combeau analyse les enjeux de ce scrutin.
"Le premier temps de l’élection présidentielle s’achève. Le scrutin de ce dimanche 22 avril 2012 peut être interrogé et comparé avec les résultats du premier tour de 2007. Les parallèles permettent de fixer l’actuelle conjoncture politique et les évolutions à l’échelle de tout le département mais aussi avec les résultats dans les bureaux de votes des communes" explique le consultant politique d’Antenne Réunion, Yvan Combeau.
Selon ce politologue, "10 questions clés soulignent les enjeux de ce premier tour de l’élection présidentielle à La Réunion. Les réponses à ces interrogations composeront la nouvelle carte politique de La Réunion. Les premiers résultats sortis des urnes de La Réunion seront aussi avec deux heures d’avance les premiers éléments des tendances nationales".
1. Comment évaluer les sondages ?
Dimanche soir, avec l’annonce des résultats officiels à 22h00 (heure de La Réunion) les électeurs vont opérer une première comparaison sur la pertinence de sondages, qui ont rythmé cette campagne. Ils ont été omniprésents, influençant les commentaires et les stratégies.
Nombre d’électeurs voudront, et pourront, évaluer ces baromètres. Quelle sera la vérité de cet instrument de mesure qui prétend proposer une suite de photographies et fixer des trajectoires ? En 1995, comme en 2002, les instituts d’enquête avaient été au cœur des critiques pour être passés à côté des véritables données et des mouvements de l’opinion. En 2007, la photo finale sortie des urnes était proche des estimations du vendredi précédent.
Ce 22 avril 2012, le curseur final permet d’apprécier l’outil sondage. Aurons nous une correspondance entre intentions et votes ou un bel écart créant « les surprises » ? Bref les suffrages feront-ils, oui ou non, mentir les sondages ?
2. Que penser du niveau des abstentions ?
En 2007, le taux d’abstention à La Réunion était de 27,33% des inscrits soit 11 points de plus que la moyenne nationale. Sur les dernières élections présidentielles, les données sont les suivantes (1995 : abstention à 36,19%, 2002 : abstention à 43,68%).
Le chiffre de la participation est bien sûr une donnée essentielle sur le scrutin du premier tour. Si nous devions assister à une poussée de l’abstention avec un chiffre de 30 à 35%, l’effet serait assuré et pourrait participer à cette « surprise » dans l’ordonnancement des candidats et dans leurs scores respectifs au regard des exprimés. Dans la case des observations liées à la mobilisation du corps électoral, une attention particulière doit également être portée au nombre des votes blancs. Cette expression électorale délivre de précieuses informations sur l’état de l’opinion face à la société politique. Elle représente en 2007 3,6 % des votants.
3. Quel sera score du président sortant ?
En avril 2007, dans les urnes réunionnaises, Nicolas Sarkozy réunit 25% des exprimés soit 6 points de moins que sa moyenne nationale. A l’échelle des communes, il réalise ses meilleurs scores à la Plaine des Palmistes (30,6%), Cilaos (30,4%) et Saint Denis (30,1%) et parvient sur quelques bureaux de votes de St Paul et St Denis à dépasser 40% des exprimés.
Quelle sera l’évolution de l’électorat au regard du bilan du président sortant, de ses engagements et de sa courte visite ? Le double succès des régionales et des sénatoriales réunionnaises dans le concert d’élections défavorables au niveau national peut-il avoir un impact sur cette consultation ? Face à un notable rejet personnel, le score de Nicolas Sarkozy sera en premier lieu analysé dans sa potentielle reconquête sur le terrain de son électorat de 2007. Un des indicateurs permettant de juger de sa position réside à l’évidence dans sa capacité à retrouver pour le moins les 89.000 suffrages d’avril 2007 et un quart des suffrages.
4. Comment expliquer la dynamique du candidat socialiste ?
Le terme dynamique correspond à l’interrogation sur le palier que va atteindre le candidat socialiste en comparaison des succès de Ségolène Royal dans les 24 communes. En 2007, elle distançait tous ses concurrents et l’emportait dans toutes les villes. Avec 46,22% des exprimés, elle réalisait un score supérieur de 20 points à son chiffre national (25,8%). A titre de comparaison, rappelons que Ségolène Royal est à plus de 60% des exprimés dans une cinquantaine de bureaux de vote. En 2012, François Hollande est appuyé officiellement par le PS et le PCR, alors qu’en 2007, Ségolène Royal n’avait pas l’appui des communistes. Mais le contexte est différent avec sur sa gauche la candidature de Jean Luc Mélenchon. S’il retrouve effectivement dans les urnes la traduction du soutien PCR-PS, il doit réaliser un score remarquable. La question-clé concernant le candidat socialiste tient donc principalement à cette unité de vote et à sa capacité d’atteindre au soir du premier tour un score au-délà de 45% des exprimés.
5. Comment analyser le rapport gauche / droite ?
En 2007 l’exceptionnel score de Ségolène Royal lui avait permis de devancer Nicolas Sarkozy de 75.000 suffrages soit 21% des exprimés. Dans la confrontation électorale de 2012, l’ordre et l’écart entre les deux candidats (Hollande-Sarkozy par ordre alphabétique) compose un point structurant dans l’enjeu national. De même, la définition chiffrée du rapport gauche/droite porte une part de l’arithmétique et du mouvement des reports de voix. Une élection c’est une dynamique à partir des forces marquées au premier tour. En 2007, la gauche (PS-PCF-Verts) était à 51,8%. Une base qui avait donné à Ségolène Royal les moyens de s’élancer jusqu’ à mobiliser sur son nom 63% du corps électoral au second tour. Quelle sera sur l’ensemble de La Réunion l’avance de François Hollande ? Quel sera le pourcentage des voix de la gauche au soir du 22 avril ? Le chiffre de référence se situe dans un écart proche des 25% des exprimés.
6. Une troisième place pour le Front de Gauche ?
Lors de sa venue en mars, Jean Luc Mélenchon insistait sur cet enjeu de l’élection : se situer devant le Front national (sur le plan national et dans le département). La place et le score du Front de gauche sont deux inconnues de cette consultation. Cette première présence dans une présidentielle ne renvoie à aucune comparaison pertinente. Pour les candidats du PCF, il est possible de croiser les deux dernières échéances avec Robert Hue et Marie Georges Buffet qui ne décolle pas avec 1,1% et 2,8%. Il faut remonter à 1995 pour voir Robert Hue atteindre 10,5%. En 2012, Jean Luc Melenchon, bien que non soutenu officiellement par le PCR, reçoit un appui de plusieurs personnalités communistes et de la CGTR. Il peut compter sur une part de l’électorat communiste. Les indicateurs d’une concevable progression se situe autant sur le constat d’une mobilisation militante lors de ses deux visites que sur un structurant du vote avec le rappel des résultats du referendum de 2005 où La Réunion avait voté dans les 24 communes contre le projet constitutionnel. Un succès et une troisième place dans ce scrutin passe par un score supérieur à 12% des exprimés.
7. Un score à deux chiffres pour le Front National ?
Lors de la visite de Marine Le Pen au début de février, la question d’une poussée de l’implantation du Front national avait nourri nombre de commentaires. Entre les chiffres passés en deça de 5% et les projections des partisans frontistes au-delà de 20%, la question d’un score à deux chiffres soit supérieur à 10% des exprimés a été maintes fois évoquée. Profitant d’une défiance à l’égard de la société politique, de la situation sociale, d’un vote protestataire, le Front national espère pour le moins doubler son score de 2007 soit plus de 40.000 bulletins. Rappelons que lors de la précédente présidentielle, Jean Marie Le Pen avait atteint son meilleur score au Tampon (6,13%), à St André (5,97%) et Ste Suzanne (5,95%) et dans les bureaux de vote de cinq communes (St Louis, Tampon, Ste Suzanne, Salazie, St Denis) plus de 10% des exprimés. Avec 10% des exprimés au soir du 22 avril, Marine Le Pen aurait réussi sa première campagne et réaliserait une indéniable performance dans le paysage politique réunionnais.
8. La troisième tentative de François Bayrou ?
Le groupe des élus réunis autour de Thierry Robert et Nassimah Dindar peut-il maintenir, voire renforcer le score de François Bayrou ? Le courant centriste a toujours bénéficié d’un ancrage réunionnais. En 1988, situation spécifique, Raymond Barre arrive en deuxième position avec 24,5%. En 2002, François Bayrou, dans sa première candidature se situe à 2,5%. En 2007, il passe la barre des 13% soit cependant 5 points de moins que sa moyenne nationale. Il obtient sur Ste Marie soutenu alors par Jean-Louis Lagourgue 17,2%. Il passe le seuil des 30% d’exprimés dans trois bureaux de vote (St Denis, St Paul, Etang salé). En cette fin de campagne 2012, les intentions nationales données par les sondages marquent pour le moins une stagnation. Le MoDem bénéficie dans le département d’une solide implantation dans plusieurs communes. Pour sa troisième candidature, son score à La Réunion peut-il accompagner la réorganisation d’un pôle centriste et passer la barre des 15% d’exprimés ?
9. Comment décrire le courant écologiste à la Réunion ?
A La Réunion, le vote écologiste lors de la présidentielle a toujours été très faible. En 1995, Dominique Voynet réalise 1,9% des exprimés. En 2002, Noël Mamère réunit 2,1%, et en 2007, Dominique Voynet retombe à 1,2%. En comparaison de succès (13,3%) lors des européennes de 2009 ou des 4,9% aux régionales de 2010, le mouvement des Verts semble devoir une nouvelle fois peiner pour créer autour de sa candidate un souffle électoral à La Réunion. Certes, les divisions, les désaccords, internes ne peuvent guère aidées, mais surtout au regard de thématiques au cœur de nombreux débats (développement durable, autonomie énergétique, transports…), les écologistes ne parviennent pas à transformer l’essai électoral. Eva Joly achève sa campagne sans avoir soulevé l’enthousiasme. Reste à savoir si son score réunionnais peut contrairement aux précédentes élections présidentielles se situer au dessus de la moyenne nationale c’est à dire s’approcher des 4% ?
10 Quel est le poids de l’extrême gauche ?
Sur les trois dernières échéances, l’extrême gauche (avec un ou deux candidats) a réussi en 2002 son meilleur score avec 4,2% des exprimés. En 2007, 13707 suffrages se portent sur les deux candidats (N.P.A/L.O). Olivier Besancenot atteint au maximum 7,3% dans un des bureaux de vote de Saint Paul. Avec la candidature de Jean Luc Mélenchon, la donne se complexifie pour ces deux mouvements qui voient le Front de Gauche aspirer une bonne part de leur suffrage et créer à la gauche du PS un pôle de rupture. Les résultats additionnés de Philippe Poutou et Nathalie Arthaud peuvent-ils renouveler les scores moyens des dernières présidentielles et ainsi se situer sur la barre des 3% ?
"A ces questions clés s’ajoute une carte électorale issue des votes de ce premier tour de la présidentielle. Une carte des forces politiques qu’observeront attentivement les candidats aux prochaines législatives" conclut Yvan Combeau.