Linfo.re a interrogé plusieurs experts sur la question de la sortie de la crise. Ci-dessous la réponse de Philippe Jean-Pierre, Professeur Agrégé de sciences économique à l’Université de la Réunion.
Vouloir sortir de cette crise implique plusieurs types de réponses :
sur le court terme, il s’agit d’éteindre l’incendie en veillant à stopper l’hémorragie ou l’expansion de la crise d’une banque à une autre. Autrement dit, à travers des interventions judicieuses de la banque centrale (baisse des taux) et des autorités publiques (recapitalisation si nécessaire, plan de soutien ou de garantie) il s’agit de soutenir l’activité des banques et de faciliter leur fonctionnement pour qu’elle puisse survivre et ainsi participer au financement de l’économie.
Par ailleurs, sur le court terme, il faut veiller à ce que l’économie réelle souffre le moins possible. Elle ne pourra y échapper. Mais, là aussi une intervention judicieuse des autorités publiques doit être réalisée pour amortir le choc. Reporter des réformes de quelques mois, si elles sont trop douloureuse à supporter, assister les couches de la
population qui auraient le plus à en souffrir.
sur le moyen terme veiller à mettre en place une nouvelle régulation conduisant à modifier le comportement futur des acteurs. On ne peut faire n’importe quoi n’importe où. L’expérience de l’utilisation à outrance des produits dérivés depuis 15 ans démontrent qu’on ne pouvait laisser les acteurs continuer sans régulation : dans ce sens la crise peut être vue comme bénéfique. L’économie de marché, en ce début de XXIeme siècle justifie l’intervention des autorités publiques. Et cette crise démontrent que les marchés si ils sont utiles pour répartir les ressources sont malheureusement imparfaits ce qui exige une intervention tierce.
En outre il faut veiller à ce que les interventions sur le court terme visant à éteindre l’incendie ne génère pas un aléa moral ou autrement dit un comportement d’irresponsabilité. En clair, il ne faudrait pas que les institutions financières sortent de cette crise en croyant que quelque soit ce qu’ils font ils seront soutenus.
De plus, sortir de cette crise signifie qu’il n’y ait pas de mauvaise découverte dans les prochaines semaines. Vouloir rétablir la confiance requiert de ne pas tromper les agents, les citoyens,...
Enfin, il faut que chaque crise soit riche en enseignement et permette de se prémunir contre d’autres crises. En ce sens il faut faire preuve de plus d’ambition que lors de la crise asiatique de 1997. Les autorités étaient d’accord pour une nouvelle régulation et un nouveau rôle du Fmi mais cela est resté lettre morte. Il faut donc faire preuve de plus d’audace. Dans ce même ordre d’idée, il ne faudrait pas qu’une fois sortie de cette crise et de cette bulle spéculative entourant l’immobilier, on s’engouffre dans une autre bulle autour l’écologie, de l’économie verte (photovoltaïque, éolien,...). Certes anticiper des gains est un moteur de l’activité, mais il faut veiller à mieux gérer le développement des bulles même si cela n’est pas toujours évident.
Trois questions à PHILIPPE JEAN-PIERRE, Professeur Agrégé de sciences économique à l’Université de la Réunion
Comment doivent réagir l’épargnant et le consommateur face à la crise ?
En période de crise, ou de krack, il est important de savoir garder son sang-froid, et cela surtout si on n’a pas un besoin de liquidités. On sait que lors de ce genre d’évènement, chute brutale de cours des actions, l’une des raisons principales tient aux comportements de mimétismes, de croyances parfois fausses ou de justifications
irrationnelles. En clair, une grande partie des vendeurs vendent parce que les autres vendent sans ce soucier des fondamentaux des actifs vendus. A ce propos, on peut ici trouver une raison également avancer pour justifier le développement des bulles spéculatives. Il faut donc essayer de se renseigner, de mesurer les mouvements constatés et de ne pas se laisser emporter par le mouvement de foule.
Le consommateur doit lui faire face à un autre problème : celui de la perte de son pouvoir d’achat lié à ce qu’on appelle l’effet richesse (le patrimoine du consommateur perd en valeur). Bien sûr on parle ici des consommateurs qui ont des actions. Mais pour une grande partie des français et des réunionnais, détenir un portefeuille d’action n’est pas chose courante. La crise va donc davantage influencer les consommateurs en pesant sur leur moral et donc sur leur capacité à dépenser. On peut voir resurgir des comportements de précautions et donc voir la consommation diminuer : ce qui est bon ni pour la production, ni pour l’emploi.
Cette crise est-elle différente des précédentes ? Peut-on prévoir comment elle va évoluer ?
Cette crise a des similitudes par rapport au précédentes de la même ampleur (crise de 1929 et crise de 1987). Effectivement, il s’agit de l’accumulation de déséquilibres et le développement de bulles (ici dans l’immobilier) qui amènent une correction fortes des cours des actions. De même les répercussions de la crise ne semblent pas se limiter à la sphère financière mais vouloir contaminer la sphère réelle.
Cette crise a aussi des différences : en 1929, les cours se sont effondrés de près de 23 % en une seule journée. En 2008, la crise voir le krack dure depuis plusieurs mois. De même, en 1929 la crise a surtout concerné le monde occidental (Etats-Unis et Europe) et on connait les conséquences dramatiques de cette première grande crise. En revanche aujourd’hui la crise concerne toute la planète : les pays développés comme les pays émergents. Son origine est également différente, une bulle immobilière et un déséquilibre du système financier en 2008 et non pas une insuffisance de la demande comme en 1929. Enfin, aujourd’hui les moyens et les réactions développés pour faire face à la crise sont sans aucune mesure comparables. En 1929, il n’y avait pas d’institutions internationales, il n’y avait pas de coordination politique, il n’y avait pas de banque centrale en Europe. Mais, en 1929, la crise donna naissance au courant keynesien qui justifia l’intervention de l’Etat pour suppléer les défaillances de l’économie de marché. Pour la petite histoire, Fannier Mae l’une des banques à l’origine de la crise de 2008 est née en 1938 pour répondre à besoin urgent de l’époque : continuer à assurer le financement de l’économie américaine. Donc, attention aux outils qu’on créer aujourd’hui...
Quel sera l’incidence de la crise sur la Réunion ?
La crise, devenue mondiale aura bien entendu des répercussions sur La Réunion. Moins par les conséquences directes (effondrement des cours, faillite d’une banque) que via les conséquences indirectes : les ménages et entreprises réunionnais qui n’avaient pas un bon moral ces derniers mois risquent de voir ce moral ne pas être conforté par la crise. Cette nouvelle crise, si elle ne s’éteint pas rapidement, pourrait venir renforcer le caractère dépressif lié aux réformes politiques en cours,
qui même si elles sont justifiées (corrigées les biais de la défiscalisation par exemple). Cette crise demande donc une gouvernance des réformes encore plus précise qu’il y a quelques mois. Il faut aujourd’hui accompagner La Réunion pour qu’elle ne subisse pas deux crises.
Il faut néanmoins souligner qu’en période de crises mondiales, La Réunion a toujours bénéficié d’une solidarité nationale ou européenne (arrivée des fonds structurels en 1987) jouant le rôle de vrai amortisseur. Le problème aujourd’hui est sans doute que les difficultés financières de l’Etat risquent de réduire la souplesse de cette amortisseur. L’enjeu qui se pose maintenant est que la période des fêtes de fin d’année reste dynamique, en attendant que les solutions prises par le gouvernement et les banques pour irriguer l’économie jouent pleinement leur rôle. Si la fin d’année est morose, la crise pourrait alors se prolonger plus longuement.