Ce mercredi 13 juillet, la Cour des comptes rend public un rapport portant sur la situation financière des communes de quatre des cinq départements d’outre-mer (DOM). En l’occurrence : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Seule la situation financière de l’île de Mayotte - devenue DOM le 31 mars dernier - n’a pas été analysée dans ce rapport.
Selon la Cour Régionale des Comptes , "les 112 communes de ces quatre départements font face à des enjeux particuliers tenant notamment à leur contexte économique et social spécifique. Ce contexte est marqué par des évolutions démographiques contrastées selon les départements (croissance très forte en Guyane et soutenue à La Réunion ; stabilisation et vieillissement aux Antilles), par un rythme de croissance économique longtemps plus rapide qu’en métropole mais qui s’est ralenti à partir de 2008, et surtout de 2009, sous l’effet de la crise sociale, et par des niveaux de chômage les plus élevés des régions de l’Union européenne".
Préparé avec les chambres régionales des comptes, le rapport portant sur la situation financière des communes des DOM s’appuie sur les observations faites par les chambres régionales des Antilles et de la Guyane (regroupées physiquement à Pointe-à-Pitre) et par celle de la Réunion sur la période 2005-2010.
Pour sa part, la Cour a évalué le rôle de l’Etat, en particulier celui exercé par les préfets en matière de contrôle de légalité et de contrôle budgétaire, ainsi que la gestion des bases de la fiscalité directe locale par les services déconcentrés de la direction générale des finances publiques. Les dispositifs de restructuration financière mis en oeuvre par l’Etat sont aussi l’objet de ce rapport.
Voici les grandes lignes de ce rapport :
Des budgets et des comptes souvent insincères et peu fiables
Les travaux des chambres régionales montrent également qu’afin d’améliorer la présentation de leurs budgets et de leurs comptes, nombre de communes (surtout en Guadeloupe et en Guyane) minorent les restes à réaliser en dépenses et/ou majorent les restes à réaliser en recettes. Les obligations de rattachement à l’exercice des charges et des produits sont ignorées. L’absence ou la défaillance de certaines comptabilités d’engagement conduit à ne pas enregistrer les dettes de fournisseurs, en laissant certaines factures « dans les tiroirs ». Dans ces conditions, une incertitude pèse sur les informations officielles, les comptes de gestion étant établis à partir de données dont la sincérité et la fiabilité sont sujettes à caution.
La situation tend cependant à s’améliorer, d’une part grâce à l’intervention continue des chambres régionales des comptes, d’autre part avec la mise en place de plans de restructuration, à l’initiative des pouvoirs publics, qui impliquent la révélation préalable de toutes les dettes fournisseurs, fiscales et sociales précédemment dissimulées.
Déjà dans son rapport public de 1994, la Cour avait noté l’importance des déficits qui justifiaient les recours en nombre particulièrement élevé aux procédures de vigilance budgétaire et financière prévues par le code général des collectivités territoriales, à l’initiative de préfets. Même si le nombre des saisines préfectorales a progressivement diminué, notamment en Martinique et à La Réunion, l’analyse financière fait apparaître une dégradation persistante, voire accrue, des comptes des communes des DOM.
La fragilité des ressources de financement
Le financement des communes est constitué, pour plus du tiers, par la fiscalité indirecte (octroi de mer et taxe sur les carburants), qu’elles ne maitrisent pas. Étroitement liée à la consommation, l’évolution dynamique de ces taxes s’est brusquement interrompue avec la crise économique et sociale de 2009.
En outre, l’octroi de mer, ressource substantielle des communes, repose sur un fondement dérogatoire et incertain, car subordonné à la reconduction d’un moratoire européen (en 2014), l’Union européenne ayant évoqué la possibilité de l’abandon de ce régime dans le cas où les régions d’outre-mer ne seraient pas aptes à apporter la preuve de la nécessité de son maintien au regard des critères de développement et de compensation des handicaps qu’elle a définis. Au surplus, ces recettes sont presque intégralement affectées à la section de fonctionnement des budgets.
Il importe que l’État, non seulement conçoive un outil d’analyse de l’effet économique de cette fiscalité dérogatoire pour en justifier l’existence, mais aussi oriente davantage son emploi vers l’investissement public.
La fiscalité directe occupe une place plus réduite qu’en métropole du financement des communes d’outre-mer, en raison notamment de leur potentiel fiscal plus limité. Même si l’évolution des taux a été plus dynamique que dans la France entière, le retard pris dans l’actualisation des bases cadastrales explique la faiblesse du produit global. Il s’agit là d’un réel enjeu d’optimisation des ressources des communes d’outre-mer.
Le montant par habitant de la dotation globale de fonctionnement des communes des DOM est, en 2010, du même niveau que celui perçu au plan national. Si la réforme de 2005 a introduit plusieurs dispositions favorables à l’outre-mer, le bénéfice a été essentiellement concentré sur la Guyane.
Enfin, les communes d’outre-mer bénéficient du régime commun de reversement de la TVA pour les investissements qu’elles réalisent. Cette « compensation fiscale », s’apparente en fait à une subvention, totale ou partielle, puisque, dans trois DOM, la TVA est acquittée selon des taux minorés et qu’elle ne s’applique pas en Guyane.
L’emploi public, « amortisseur social »
Depuis les années 2000, les effectifs communaux ont augmenté encore plus rapidement qu’en France métropolitaine, absorbant une part croissante des recettes de fonctionnement. Il s’ensuit une rigidité croissante des charges de structure. Plus récemment, les exécutifs (les maires et les présidents d’EPCI) ont été confrontés à une demande d’emploi local accrue par la hausse du chômage, ainsi que par les effets des accords signés à la suite des mouvements sociaux de l’année 2009.
Les communes des DOM jouent un rôle « d’employeur social ». Cette politique, revendiquée par les exécutifs locaux, les a conduits à privilégier le recrutement, sur des emplois précaires, de personnels peu qualifiés, concentrés sur quelques métiers de faible technicité. Or le recrutement, le renouvellement de ces personnels contractuels puis leur titularisation ne sont souvent pas conformes aux dispositions du statut général de la fonction publique territoriale. A l’inverse, le nombre de cadres est demeuré très inférieur au strict nécessaire, provoquant ainsi un déficit d’expertise et de pilotage. Dans ce contexte, les communes ne se sont pas dotées des outils d’une gestion transparente, qualitative et prévisionnelle de leurs ressources humaines.
À l’avenir, la prévision de nombreux départs en retraite des agents communaux, concentrés sur les effectifs les plus nombreux des métiers de catégorie C, devrait être mise à profit pour permettre une gestion plus optimale. Il convient donc d’initier une démarche de rationalisation de l’organisation et du rapport d’utilité de certains emplois, et de mettre en place des moyens de formation qui permettent l’évolution des carrières des agents demeurant en fonction. Parallèlement, le contrôle de légalité par les préfets dans le cadre de l’examen des procédures d’autorisation et de suivi des emplois, notamment contractuels doit être renforcé.
Un effort d’investissement limité
Le niveau des dépenses d’équipement des communes des DOM est inférieur à celui de la métropole, sauf à La Réunion. L’insuffisante épargne dégagée de leur exploitation courante, à laquelle s’ajoute l’absence de capacité de remboursement d’emprunts, a pour conséquence de limiter les marges de manoeuvre pour investir. Les communes d’outre-mer perçoivent cependant plus de subventions que leurs homologues de métropole, notamment grâce aux fonds structurels européens, accompagnés par de l’État, les régions d’outre-mer n’ayant qu’imparfaitement relayé l’effort de la solidarité nationale.
D’une manière générale, les communes des DOM sont peu endettées, sauf à La Réunion où le recours massif à l’emprunt pour y financer les investissements alors que leurs capacités financières se dégradent, place nombre d’entre elles en situation de surendettement.
A ces problèmes financiers s’ajoute un déficit de professionnalisme dans la conduite juridique, technique et financière des opérations d’équipement. L’absence de programmation rigoureuse des investissements, les incertitudes dans les prévisions de financement, les insuffisances nombreuses dans le pilotage des opérations dont les communes ont la charge, soit par leurs moyens propres, soit par l’intermédiaire de mandataires, se traduisent par des dépassements de coûts, des reports de projets, des étalements de programmes, et des retards parfois tels que l’opération est devenue inutile.
De plus, l’intercommunalité, qui s’est développée presque au même rythme qu’en métropole, n’a pas permis de compenser l’insuffisance de l’investissement communal, surtout en Guadeloupe où la coopération intercommunale est faible.
La Cour recommande que le régime de l’octroi de mer, dispositif fiscal propre aux DOM, qui finance principalement les dépenses de fonctionnement des communes, soit davantage consacré au financement des investissements de la sphère communale, en conformité avec les orientations européennes.
La nécessité d’un accompagnement rigoureux de l’État
Les préfets disposent de divers moyens pour assurer la régulation des finances locales, mais les faibles résultats obtenus devraient inciter les pouvoirs publics à les renforcer et à les adapter.
Le réseau d’alerte n’exerce pas assez le rôle préventif qui est attendu, car la méthode de calcul des scores retenue pour l’outre-mer, ne permet pas une hiérarchisation pertinente du risque financier. En outre, son usage confidentiel par les préfets nuit à son efficacité vis-à-vis des communes. Il conviendrait de le rendre public.
De même, le contrôle de légalité exercé par les préfets gagnerait, dans un contexte de révision générale des politiques publiques, à être mieux ciblé en fonction des risques propres aux DOM, mieux coordonné au sein des services de l’État, voire même, dans certains DOM, à être effectivement exercé.
Le contrôle des actes budgétaires par les chambres régionales des comptes à l’initiative des préfets – qui est une procédure de mise sous vigilance des collectivités en difficulté - a été particulièrement développé dans les DOM, surtout en Guadeloupe et en Guyane. La diminution du nombre des saisines atteste, en autres facteurs, d’une efficacité qui dépend surtout de l’engagement des acteurs : plein exercice de ses attributions par le préfet, constance et célérité de la CRC dans ses avis rendus, sincérité de l’ordonnateur dans l’information qu’il fournit et réelle volonté de sa part de mettre en oeuvre les mesures qui lui sont préconisées. Mais cette procédure n’est pas adaptée aux situations d’insolvabilité chronique. Les propositions de la Cour visent à améliorer l’efficience de cette procédure et à renforcer les cas de saisines en anticipation de crise.
Des dispositifs de restructuration financière sans garantie de consolidation
Un dispositif contractuel a été mis en place à partir de 2004 par les services de l’État, avec l’AFD, pour aider certaines communes de Guadeloupe et de Guyane à restaurer leur équilibre financier, par l’octroi d’un prêt permettant de réaménager leur passif et, pour certaines d’entre elles, grâce à une subvention exceptionnelle. Il déroge aux règles de la comptabilité publique, se caractérise par une absence de formalisme qui conduit à l’application de critères de sélection variables selon les communes et évince celles qui sont les plus endettées.
Les premières évaluations montrent que ces dispositifs permettent de restaurer des marges de manoeuvre financières aux communes bénéficiaires mais ne garantissent pas la correction des causes profondes des déficits. Les obligations réciproques étant déséquilibrées, leur succès dépend avant tout de la bonne volonté des exécutifs de les appliquer. Si cette démarche devait être maintenue, il conviendrait de lui donner un fondement légal et de définir des critères de sélection des communes éligibles et des garanties de bonne fin.
En conclusion, la Cour formule 26 recommandations qui portent sur :
L’octroi de mer ;
la fiscalité directe ;
le fonds de compensation de la TVA ;
les politiques de personnels ;
l’investissement ;
le réseau d’alerte ;
le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire ;
les procédures de contrôle budgétaire ;
les dispositifs de restructuration financière.