La campagne sucrière a débuté depuis un mois à La Réunion. Des dizaines de “cachalots” convergent vers la sucrerie de Bois- Rouge, située à Saint-André.
Les bennes sont vidées sur d’immenses tapis roulants : c’est la première étape d’un processus qui transformera les cannes en sucre roux en mélasse, en rhum et en un résidu fibreux, la bagasse.
Ici, rien ne se perd : cette bagasse sera ensuite brûlée dans la centrale énergétique de la sucrerie de Bois-Rouge.
Au plus fort de la récolte de cannes à sucre, ce résidu fournit 10 % de l’électricité de l’île et permet à EDF de répondre notamment au pic de consommation dit de “la marmite de riz”. Entre 18 et 19 heures, les foyers réunionnais commencent à préparer leur dîner et nombreux sont ceux qui allument alors cette marmite électrique. D’où une demande instantanée d’électricité à laquelle EDF doit pouvoir répondre au pied levé. « Il faut se battre tous les jours pour offrir la puissance maximale, reconnaît Jean-Louis Barbet, chef de pôle système électrique chez EDF. L’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité est capital. »
Bienvenue sur ce petit système énergétique isolé (SEI) comme le sont d’autres territoires insulaires, tels la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint- Martin !
Leur point commun ?
Privés pour tout ou partie d’interconnexions à des réseaux électriques continentaux, ils sont dans l’obligation de produire sur place l’électricité qu’ils consomment. En d’autres termes, ils doivent être autosuffisants sur le plan énergétique et la tâche n’est pas aisée.
Ces SEI doivent faire face à l’augmentation de la demande d’électricité. D’une part, parce que l’activité économique croît chaque année et, d’autre part, parce que le nombre d’habitants progresse aussi. Entre 1999 et 2006, la population des SEI a augmenté de 11,7 % contre 0,7 % sur le territoire français et cette tendance est amenée à se poursuivre : l’île de La Réunion compte aujourd’hui 800000 habitants et ce chiffre dépassera le million d’ici à 2020. En conséquence, les SEI ont enregistré entre 2003 et 2007 une croissance annuelle de la demande d’électricité de 3,8 %, à comparer avec une hausse de 2,6 % sur l’ensemble du territoire français.
Pour y répondre dans un monde où les sources d’énergie fossile sont amenées à se raréfier, EDF a lancé depuis quelques années d’importantes recherches sur les énergies renouvelables “à puissance garantie” (hydraulique, géothermie, biomasse, etc.) et “intermittentes” (éolien et photovoltaïque). Parce qu’il est difficile de prévoir l’ensoleillement et la force du vent et dans le but de protéger les approvisionnements, un décret de 2008 a fixé à 30 % le seuil maximal des énergies intermittentes dans les réseaux insulaires : il sera atteint en 2011 à La Réunion, en 2012 en Guadeloupe et en Martinique et en 2013 en Corse et en Guyane.
Ces travaux ont été menés avec succès dans ces laboratoires à ciel ouvert. Leurs rôles se sont trouvés renforcés en 2009 par le Comité interministériel pour l’outre-mer. Celui-ci a voulu que les départements et collectivités d’outre- mer (Dom-Com) deviennent des « vitrines de l’excellence française de l’écodéveloppement ». Résultat, dans les Dom-Com, les énergies renouvelables assurent 25 % de la production d’électricité contre un peu plus de 13 % en métropole. Très en avance sur les objectifs définis pour 2020 par le Grenelle de l’environnement (23% sur le terri toire français), les Dom-Com se sont vu assigner un nouvel objectif : la part des énergies renouvelables sera de 50 %. À La Réunion, où la demande d’électricité a décuplé en trente-cinq ans, cette part atteint déjà 36 % (les 64 % restants étant assurés par le charbon et le fuel).
« Cette île est le modèle réduit d’un système énergétique complet », explique Jean-Michel Deveza, directeur régional d’EDF, à ceci près qu’y installer une centrale nucléaire est impensable. Chaque jour, quelle que soit la saison, il y a deux pics de consommation : au cours de l’été, le plus prononcé est celui de la fin de matinée, avec la mise en route des climatiseurs. En hiver, c’est celui de la fin de l’après-midi, avec l’éclairage, l’allumage des téléviseurs et des marmites à riz. Des efforts particuliers ont été portés sur les énergies renouvelables.
Jusqu’à la fin des années 1980, le parc hydraulique de La Réunion permettait de répondre à la totalité de la demande de l’île. La puissance installée (528 mégawatts) vient d’être augmentée grâce à la construction d’une quatrième citerne de 25000 mètres cubes sur le site de Sainte-Rose et l’installation d’une quatrième turbine hydraulique. Côté énergie intermittente, le parc dispose de deux fermes éoliennes à Sainte- Rose et Sainte-Suzanne-La Perrière ainsi que de 818 installations photovoltaïques ; il n’y en avait que 245 à la fin de 2007 !
Parce que le développement de cette technologie est amené à prendre de plus en plus d’importance, une partie de la production deviendra donc fluctuante : « Un nuage et immédiatement c’est 40 % de la production photovoltaïque en moins », explique Jean-Louis Barbet. Pour contrecarrer les effets de ces variations de puissance, l’électricien a commencé à tester une pile géante sur le site de Saint-André. Son but ? Se charger la nuit pour stocker l’électricité en heures creuses et la redonner en heures pleines. « Il ne s’agit pas de consommer moins, mais de consommer mieux », martèle Jean-Michel Deveza.
La croissance de la demande a pu être réduite : au début des années 2000, elle augmentait annuellement de 7 à 8% ; à la fin de cette décennie, la hausse a été ramenée à 3% grâce à des programmes de maîtrise de l’énergie. Sur les 400 000 foyers que compte l’île de La Réunion, un quart est équipé de chauffe-eau solaires. « C’est un record européen ! », se félicite Jean-Louis Barbet. Compte tenu des aides de l’électricien (200 euros) et du crédit d’impôt (1 000 euros), le prix de revient du chauffeeau pour l’usager est de 1 300 euros et il permet d’économiser annuellement 150 euros.
Autre mesure, la distribution de deux millions d’ampoules à basse consommation. Vendues un euro pièce, elles éclairent aujourd’hui 90 % des foyers. Avec la fourniture de multiprises intelligentes, EDF s’est attaquée aux appareils en veille (téléviseur, lecteurs DVD, etc.). Cette consommation passive est loin d’être négligeable : elle représente 10 % de la consommation électrique ; en métropole, c’est l’équivalent d’une à deux tranches nucléaires ! « En fait, le meilleur kilowattheure est celui qui n’est ni consommé ni produit », résume Jean- Michel Deveza.
