En 2007, parmi les critères d’appréciation de leur emploi par les salariés, le salaire est la première source d’insatisfaction devant les conditions de travail, la stabilité de l’emploi et le temps de travail : dans les entreprises de plus de 10 salariés du secteur marchand, 55 % des salariés se déclarent plutôt insatisfaits de leur salaire en lui attribuant une note inférieure ou égale à 5 sur 10.
Pour la première fois, en septembre 2007, dans une enquête portant sur les salaires, l’Insee a cherché à apprécier le degré de satisfaction des salariés sur ce thème. Ces derniers se sentent fortement concernés par la question des salaires, et ont des opinions bien établies à ce sujet.
De fait, les salaires ne sont pas jugés entièrement satisfaisants. Les enquêtés devaient noter la qualité de leur emploi selon quatre critères : leur salaire, la stabilité de leur emploi, leurs conditions de travail et leur temps de travail. C’est à propos des salaires que la non-réponse est la plus faible et que les notes de satisfaction sont les moins élevées .
Plus encore que le niveau absolu de satisfaction, le contraste entre le jugement porté sur le salaire et ceux portés sur les autres aspects du travail est étonnant. Seulement 45 % des salariés ont donné au salaire une note supérieure ou égale à 6 (sur une échelle allant de 0 à 10), contre 68 % pour les conditions de travail, 72 % pour le temps de travail et 73 % pour la stabilité de l’emploi.
L’instabilité de l’emploi est en effet fortement concentrée sur une minorité de travailleurs. Les conditions de travail sont difficiles à comparer d’un poste à l’autre et les pénibilités et les risques font souvent l’objet d’un déni par ceux qui les subissent. Au contraire, il semblerait qu’il n’y ait pas de normes sociales censurant la conscience d’une insatisfaction en matière de salaire : moins de 2 % des salariés se déclarent pleinement satisfaits.
Les notes données sont corrélées entre elles, mais les enquêtés différencient bien les quatre critères. Seuls 5 % des répondants ont attribué la même note aux quatre et 23 % ont donné trois notes égales parmi les quatre.
Néanmoins, les quatre notes ne sont pas indépendantes. En particulier, les notes relatives au temps de travail et aux conditions de travail sont assez nettement liées. La note attribuée au salaire a un lien plus lâche avec les trois autres, qui expliquent environ le quart de sa variance.
Cependant, pour les personnes à temps partiel en 2006, la satisfaction par rapport au salaire est davantage liée à celle sur le temps de travail, sans doute à cause du temps partiel contraint : la note sur le salaire est deux fois plus corrélée à celle sur le temps de travail que pour les temps complets.
Satisfaits d’être bien payés ou d’être relativement bien payés ?
La proportion de répondants qui jugent leur salaire par une note au moins égale à 6 est de 20 % parmi le dixième des salariés les moins bien payés contre 76 % pour ceux qui font partie du dixième le mieux payé.
Mais il n’y a pas que le montant du salaire qui importe : il doit être mis en regard de ce que le salarié peut espérer, compte tenu de sa formation, de son expérience professionnelle globale, de son ancienneté dans l’entreprise, de sa qualification reconnue, de son sexe, du secteur et de la taille de l’entreprise où il travaille, et du fait qu’il travaille à temps partiel ou à temps complet.
On peut ainsi estimer économétriquement un salaire « attendu », et le comparer au salaire réellement perçu par chaque salarié. Si sa satisfaction dépend fortement du salaire réellement perçu, l‘écart positif ou négatif par rapport au salaire « attendu » joue un rôle plus grand encore.
Les salariés semblent particulièrement sensibles à ce qui, dans leur rémunération, tient à d’autres caractéristiques, personnelles, de leur entreprise ou de leur emploi, non-observées dans l’enquête.
La rémunération de l’expérience est souvent jugée insuffisante
63 % des salariés estiment que leur salaire est plutôt faible compte tenu de leur expérience professionnelle, 27 % trouvent qu’il correspond bien à leur expérience et 1 % seulement le jugent plutôt élevé (tableau 3).
Les jugements sur la correspondance entre salaire et niveau de formation sont moins défavorables, mais 31 % des salariés estiment cependant que leur salaire est plutôt faible étant donné leur niveau d’études. Le défaut de reconnaissance des études est ressenti à tous les niveaux de diplôme mais il est plus fortement exprimé par les salariés les plus diplômés. Les salariés les moins diplômés déclarent beaucoup plus fréquemment ne pas savoir répondre.
Ce défaut de reconnaissance des études est aussi plus particulièrement ressenti par les salariés qui ont moins de dix ans d’expérience professionnelle. Quant au manque de reconnaissance de l’expérience, il est exprimé quel que soit le niveau scolaire.
Ce sont les salariés les plus expérimentés qui estiment le plus leur expérience insuffisamment reconnue mais ce sentiment est aussi largement partagé par des salariés jeunes : non seulement les salaires d’insertion sont relativement faibles à diplôme donné, ce qui installe le sentiment que le niveau d’études n’est pas reconnu, mais la relative faiblesse de la progression salariale ultérieure fait partager par toutes les générations le sentiment que l’expérience professionnelle n’est pas récompensée.
La distribution des salaires considérés comme « normaux » est un peu plus égalitaire que celle des salaires effectifs
On demandait également aux salariés quel salaire ils trouveraient « normal » de percevoir. Seuls 1 % des répondants jugeraient normal de gagner moins, à peine 3 % considèrent que le montant de leur salaire est le montant « normal ».
La moitié des personnes qui ont répondu à la question déclarent au contraire un salaire « normal » supérieur d’au moins 23 % au salaire qu’elles perçoivent ; cependant, 10 % ne répondent pas à la question, ce qui est un taux relativement élevé. Les réponses consistent souvent en un nombre « rond ». Les résultats ne doivent donc pas être sur-interprétés. Les personnes interrogées n’auraient peut-être pas donné la même réponse en présence d’un enquêteur et cette réponse ne préjuge pas de leur comportement dans les situations concrètes de négociation ou de revendication salariale, individuelle ou collective. Ce sont surtout les écarts entre catégories dans la façon de répondre qui sont significatifs.
Le salaire considéré comme normal est très corrélé au salaire perçu, probablement parce que les salariés prennent pour référence leur propre salaire ou celui de personnes aux caractéristiques voisines. Le niveau du salaire effectif explique 90 % des variations du salaire jugé normal.
Cependant, cela ne veut pas dire que les salariés entérinent purement et simplement la distribution actuelle des salaires. En pourcentage du salaire, l’écart entre salaire perçu et salaire considéré comme normal est d’autant plus important que le salaire perçu est faible. Parmi les 10 % les mieux payés, seul un salarié sur dix considérerait comme normal de toucher un salaire supérieur d’au moins 40 %.
À l’opposé, les personnes qui considèrent leur salaire comme normal, voire comme supérieur à ce qui serait normal, se rencontrent surtout parmi les mieux payés des cadres. La distribution des salaires jugés normaux apparaît donc plus égalitaire que celle des salaires effectifs.
À salaire égal, le salaire considéré comme normal dépend de perceptions subjectives
Les déterminants habituels du salaire ont peu d‘influence sur le fait de juger son salaire à peu près normal ou au contraire de penser qu’il serait normal de gagner beaucoup plus. Bien que les générations les plus récentes aient des salaires plus faibles que les générations passées, en particulier à l’embauche, l’âge n’influe pas significativement sur l’écart entre salaire jugé normal et salaire réel.
L’écart entre hommes et femmes est aussi peu marqué ; paradoxalement, ce serait même les hommes, pourtant mieux payés, qui trouveraient normal de percevoir un salaire légèrement plus élevé : les femmes ont donc intériorisé les écarts de salaire au point de les inclure dans l’appréciation du salaire qu’elles trouveraient normal de percevoir (il semble toutefois que ce ne soit pas le cas des femmes les plus diplômées).
Il en est de même pour les salariés les moins diplômés ou les moins qualifiés.
En fait, les écarts les plus notables concernent des catégories particulières plutôt que de vastes groupes. Les diplômés de certaines spécialités objectivement moins payées à niveau de diplôme donné, comme la communication et le journalisme, les disciplines artistiques et littéraires ou le transport, trouveraient normal de gagner nettement plus.
Les enfants de cadres déclarent, à salaire égal, un salaire « normal » supérieur de 4 % à celui déclaré par les enfants d’employés : il est possible que les uns et les autres comparent leurs salaires aux rémunérations perçues par les membres de leur milieu d’origine.
L’appréciation du salaire normal est, toujours à salaire égal, influencée par d’autres perceptions subjectives.
Avoir le sentiment, fondé ou non, de travailler dans une entreprise qui paie mal va conduire à définir un salaire normal supérieur de 9 % par rapport à un salarié aux caractéristiques analogues, mais ayant le sentiment que son entreprise paie bien.
Enfin, l’appréciation subjective de sa place dans la hiérarchie salariale joue un rôle considérable : toujours à salaire égal, si l’on pense être dans le tiers le mieux payé des salariés, on jugera normal un salaire de 7 % plus faible que si l’on croit se situer dans le tiers le moins bien payé.
Source:Insee