Le président du Département s’est exprimé dans le cadre du Grand Débat National face à Emmanuel Macron vendredi soir.
Monsieur le Président de la République,
La Réunion a connu le plus puissant mouvement des Gilets Jaunes des Outre-mer et sans doute même de tous les départements français puisqu’elle a été totalement paralysée par le blocage du port, de l’aéroport et des routes pendant un peu plus de deux semaines. Les entreprises ont subi entre 600 et 700 millions d’euros de pertes selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Ile et la population en a souffert dans sa vie quotidienne.
Les Outre-mer sont, hélas, accoutumés à ces troubles sociaux dont les origines remontent souvent à loin. Si on prend le cas de La Réunion, le chômage est deux fois et demie plus répandu qu’en France hexagonale. Le coût de la vie y est aussi plus élevé alors qu’en même temps les revenus y sont plus bas.
42% de la population, soit trois fois plus qu’au plan national, vivent sous le seuil de pauvreté. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que la situation sociale y soit très instable et susceptible de dégénérer à tout moment.
A ces raisons de fond s’ajoute une cause conjoncturelle. Plus grosse utilisatrice de contrats aidés en Outre-mer, La Réunion a subi de plein fouet la diminution de ceux-ci. D’un trait de plume, nous avons perdu l’équivalent de trois ans de créations nettes d’emplois par notre économie, ce qui a fait bondir le nombre de chômeurs de 2,2% l’an dernier.
La situation sociale, grave et instable, de La Réunion ne peut plus durer et appelle, nous semble-t-il, deux types de réponses.
Le premier consiste à répondre aux urgences. C’est ce que vous avez fait par les mesures sociales annoncées récemment par le Gouvernement. C’est aussi le sens des dispositions rappelées par Mme Annick Girardin, Ministre des Outre-mer, au cours de son dernier séjour à La Réunion. C’est enfin ce que nous faisons quotidiennement au Département, par notre politique sociale conformément aux compétences qui nous sont dévolues par la loi.
Cependant, tandis que notre situation sociale est « hors-normes », comme le dit l’INSEE, en raison de sa gravité, le Département est freiné et même paralysé, dans son action, par le poids financier du RSA. La non -compensation par l’Etat de la totalité des sommes que nous y engageons en son nom met à mal nos ressources, amputées ainsi et indûment de plusieurs centaines de millions d’euros. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la reprise en gestion directe par l’Etat de cette prestation qui relève de lui. Une fois cela fait, nous aurons plus de marge pour agir encore plus et mieux vis-à-vis de nos concitoyens et contribuer ainsi à maintenir la paix sociale dans l’île.
Monsieur Le président, soyons ambitieux, soyons innovant, favorisons le retour à l’emploi en lançant une expérimentation qui doit permettre aux personnes en reconversion ou en reprise d’activité professionnelle de ne pas subir sur certains métiers spécifiques des suppressions brutales des droits au RSA.
Il est de notre devoir Monsieur Le Président de poser des bases nouvelles du travail dans notre territoire car le travail est la première des dignités.
Le second type de réponse est à plus long terme mais doit être mise en œuvre sans attendre. En effet, relever les défis de l’urgence ne suffit pas. Il faut tirer les leçons des crises sociales à répétition dans les Outre-mer. Pour éviter qu’elles ne reviennent périodiquement, il conviendrait de réfléchir au modèle de développement qui est le nôtre. Bâti autour des crédits publics, il a donné de bons résultats, mais il est vulnérable. Il n’a pas résolu les problèmes de fond et montre ses limites. Il n’arrive pas à intégrer l’ensemble de la population, sauf par l’assistance, ainsi qu’en témoigne, répétons-le, ce chiffre terrible de 42% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté dans le plus important des départements d’outre-mer.
Il nous faut donc changer de paradigme pour passer d’une économie sous perfusion à un nouveau modèle plus productif. Cela ne veut pas dire le renoncement à la solidarité nationale et européenne, liée à notre qualité de français, mais la mise en œuvre d’un développement plus endogène, à partir de ce que sont les Outre-mer. Il s’agit de passer du prêt-à-porter économique et social dupliqué à partir de la Métropole, à du sur-mesure en dotant chacun des Outre-mer d’un projet prenant en compte les spécificités de son territoire et la culture de sa population.
Ce nouveau modèle, Monsieur Le Président, élaborons-le ensemble, Etat et collectivités, et mettons-le en œuvre ensemble, par la contractualisation. Tout le monde y gagnera.
Cela sera bénéfique pour les Outre-mer qui pourront participer à la création nationale de richesses et répondre aux besoins de leurs populations.
Cela sera bénéfique pour l’ensemble de la Nation dont les Outre-mer constituent des atouts. Grâce aux Outre-mer, la France dispose déjà du 2e empire maritime du monde, de l’essentiel de la biodiversité de l’Europe, de ressources minières, agricoles et des considérables richesses de la mer. Devenus paisibles et prospères, les Outre-mer peuvent constituer une « nouvelle frontière » pour notre pays dans la mondialisation.
Monsieur Le Président de la République, venus du passé colonial, les Outre-mer sont la chance de la France de demain, de l’« archipel France », ainsi que vous l’avez qualifiée. Ils doivent être aussi, par leur développement, la fierté de leurs populations.
Si vous impulsez, Monsieur Le Président de la République, cette nouvelle approche pour les Outre-mer, vous ouvrirez une page nouvelle de leur histoire.
Nous vous remercions pour votre attention.