Le 14 juillet met à l’honneur les armées. C’est aussi, traditionnellement, une tribune pour leur chef, Nicolas Sarkozy. Même si la "grande muette" n’a pas élevé la voix, le ministère de la Défense est celui qui, de loin, a connu les restructurations les plus importantes. Un exemple de la méthode Sarkozy.
Le premier grand bouleversement récent est pourtant l’oeuvre de son prédécesseur, Jacques Chirac, qui a pris en 1999 la décision historique de suspendre le service national. Mais dans les années qui suivent, sans doute pour permettre aux armées de digérer les conséquences de la professionnalisation, la défense se trouve en quelque sorte "sanctuarisée". Michèle Alliot-Marie en profite pour se faire une bonne réputation auprès des militaires qui apprécient son style, un peu raide, naturellement en phase avec l’institution. Les militaires ont besoin de se sentir aimés, "le" ministre de la défense les protège : tout va bien, du moins en apparence. Car pendant ce temps là les programmes continuent et se font concurrence. Le budget de la France ne peut absorber à la fois une deuxième porte-avions, le renouvellement des frégates et des sous-marins, un grand programme d’Airbus militaire (l’A 400M, aujourd’hui à l’avenir compromis), l’avion de combat Rafale (qui attend toujours son premier marché export), les missiles de croisières, sans parler de la remise à niveau des matériels de l’armée de Terre, trop souvent oubliés parce que moins voyants, mais tout aussi nécessaires : véhicules, protection, transmission...
"A-t-on besoin de 40 bases aériennes ?"
Le changement de chef des armées et de ministre de la défense tombe donc à point nommé pour prendre des décisions : après avoir été le candidat "du deuxième porte-avions" -devenu malgré lui enjeu de la campagne présidentielle- Nicolas Sarkozy se ravise : il s’agira de plutôt de coopérer avec les anglais... Mais le deuxième porte-avions français n’est que la partie émergée de l’iceberg. Disciplinée, c’est en silence que la défense se réforme ; une réforme propre, doublée d’une application zélée de la "RGPP", la revue générale des politiques publiques. A nouveau on ne parle que de fermetures, et de suppression de postes (54 000) : "il fallait moderniser l’armée, on ne pouvait pas avoir près de 500 bases en France" explique aujourd’hui Nicolas Sarkozy qui illustre son propos : "on traverse la France en 20 minutes avec nos Rafales, est-ce qu’on avait besoin de 40 bases aériennes ? Nous sommes au 21ème siècle, il fallait l’organisation du 21ème siècle (...) On a besoin d’une armée de professionnels, modernes, aguerris, avec les matériels nécessaires pour se défendre, pour faire le travail qu’on leur demande... Il y avait tout un travail de restructuration engagé. On l’a fait ; il y aura moins d’hommes, mais mieux armés, plus efficaces, plus efficients... C’était très difficile, ils l’ont fait avec beaucoup de brio, ils l’ont accepté avec le sens de la discipline qui est celui des armées".
"Une armée aveugle n’a pas de sens"
Ainsi le chef des armées estime-t-il aujourd’hui récolter les fruits de ce travail. Plus à l’aise dans ses habits de chef des armées, il se montre aussi plus volontaire, moins prudent que son prédécesseur. Avec lui les armées doivent "aller au résultat", comme en matière de piraterie maritime où la France est la première à marquer sa détermination et est citée en exemple. Une méthode qui plaît aux militaires, même si elle n’est pas sans conséquences à plus long terme. En ce 14 juillet, deux "conseillers" français (selon toute vraisemblance des agents de la DGSE) viennent d’ailleurs d’être pris en otage en Somalie. Mais Nicolas Sarkozy ne se contente pas d’action, il marque également de son empreinte la stratégie française, notamment en mettant en avant le fonction "renseignement" à la manière américaine, c’est-à-dire dotée de moyens électroniques et spatiaux qui se veulent plus autonomes : "on a investi beaucoup d’argent dans le renseignement, parce qu’une armée aveugle n’a pas de sens" affirme le chef des armées qui donne aussi une impulsion déterminante aux drônes, ces avions sans pilotes capables d’observer les théâtres d’opérations sans risque pour les pilotes.
"On ne va pas laisser revenir les Talibans"
Autre virement de bord après le porte-avions, l’Afghanistan. Après avoir exprimé pendant la campagne présidentielle ses doutes sur l’intérêt de maintenir une présence française en Afghanistan, Nicolas Sarkozy le président affiche aujourd’hui une grande détermination. Et même si beaucoup s’accordent à voir dans la présence française une forme de "ticket d’entré" dans le commandement de l’OTAN -que la France a choisi de rallier après l’avoir quitté sous De Gaulle, une autre "marque" Sarkozienne- le président de la République y voit lui des raisons d’abord morales : "j’ai dit au président Obama qu’on aiderait parce qu’il faut que ce pays retrouve les conditions de sa liberté... On ne va quand même pas laisser revenir les talibans, qui coupaient les mains des petites filles qui se mettaient du vernis à ongle, ou qui ont décidé que des millions de petites filles ne pourraient plus aller à l’école". Et alors que l’Inde est l’invitée de ce 14 juillet, Nicolas Sarkozy poursuit "...il y a tout le problème du Pakistan, qui est une puissance nucléaire..." avant de s’interrompre pour enchaîner sur le sort des soldats français : car même si même si le Pakistan pose "problème", c’est aussi un très bon client des industriels d’armement français...
"La voix de la France doit être entendue"
Mais la Défense n’est pas un domaine tout à fait comme les autres. Symbole mais aussi essence même de la puissance française, on ne peut la bousculer que pour progresser et son sort fait généralement consensus entre droite et gauche. Dans les rangs certains espèrent donc que la formation et les qualités humaines mondialement reconnus des spécialistes militaires français ne pâtira pas des budgets qu’il faudra bien allouer à de coûteuses technologies de renseignement -un moyen aussi de doper les industriels français. Et dans les coursives, les marins espèrent qu’une crise ne surviendra pas au moment où l’unique porte-avions français sera en révision. Comme le disait aujourd’hui le chef des armées et président de la République, "une France qui a 65 millions d’habitants doit rester une grande puissance, et la voix de la France doit être entendue".
Le plan de relance aide les armées : ces derniers mois ont réservé quelques bonnes surprises aux militaires...Si les matériels ne leurs sont attribués qu’au compte-goutte en raison des restrictions budgétaires, la crise a eu des effets bénéfiques. Parce qu’il fallait sauver les plans de charge de certains industriels, les militaires ont vu soudainement être commandés des matériels qu’ils n’espéraient pas pouvoir obtenir avant plusieurs années, comme par exemple un troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC), un navire de 20 000 tonnes (chantiers de Saint-Nazaire), des munitions (SAMP, 8 M€ pour 1200 bombes) et des véhicules (Renault trucks, Panhard) Au total le plan de relance représente 2,4 Md€ pour la Défense.