C’est une véritable bombe judiciaire : le vice-président chargé de l’instruction au Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou à Mayotte demande les factures détaillées des lignes téléphoniques de deux magistrats et d’une greffière.
Le juge Marc Boehrer, vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance (TGI) de Mamoudzou à Mayotte, a demandé sur commission rogatoire l’exploitation des factures détaillées des lignes téléphoniques professionnelles de plusieurs magistrats mahorais. Ces derniers seraient, d’après lui, à l’origine de la parution au journal local Upanga des informations concernant une affaire « sensible ».
Dans le cadre d’une ouverture d’information judiciaire pour « recel de violation du secret de l’instruction », le vice-président chargé de l’instruction au TGI de Mamoudzou, le juge Marc Boehrer a en effet réclamé l’exploitation des "fadettes" d’un autre juge d’instruction, Hakim Karki, d’une greffière, d’un juge des libertés et de la détention (JLD) ainsi que celles de quatre avocats.
Sa requête fait suite à la publication dans le journal local Upanga de détails intrigants du dossier concernant la mort d’une lycéenne en 2011, suite à une overdose.
Cette affaire avait conduit à la
mise en examen, par le juge Karki, de plusieurs gendarmes et policiers du Groupement d’intervention régional (GIR) qui auraient mis en circulation la drogue jugée responsable du décès de la jeune Roukia.
Cette bombe judiciaire a commencé le10 novembre 2011 lorsque le journal Upanga a publié un article et intitulé « GIR : l’étouffement d’un tonitruant dossier », dans lequel plusieurs informations qui devaient rester au niveau de l’instruction ont été révélées au grand jour.
Dans une commission rogatoire, délivrée le 12 mars dernier, le vice-président chargé de l’instruction, Marc Boehrer a demandé à ce que la police judiciaire passe au peigne fin les factures détaillées des lignes téléphoniques et du GSM professionnels du juge Hakim Karki, de sa greffière Patricia Morizot et de la juge des libertés et de la détention (JLD) Viviane Peyrot. Un PV, dont Le Point avait obtenu une copie, indique que le but de cette démarche est d’« établir ou d’exclure des relations avec le journal Upanga ».
A cette commission rogatoire, le juge Marc Boehrer vient également de rajouter le nom de quatre avocats de la défense dont Me Saïd Larifou. Ils sont également suspectés d’avoir laissé «
fuiter » des informations d’instruction sur cette
affaire de meurtre au journal Upanga.
Le document obtenu par Le Point atteste effectivement que ces quatre avocats avaient obtenu la copie du dossier d’instruction de la mort de Roukia « dans une période correspondant à la parution de l’article incriminé ».
Saïd Larifou, l’un des avocats visé par cette procédure, se dit « indigné ». Selon lui ; cette décision du juge Boehrer est « une atteinte dangereuse et préoccupante aux droits de la défense ».
Les réactions du barreau de La Réunion et d’autres en France ne tarderont pas à venir, note le quotidien français. Le Syndicat national des magistrats-FO, auquel est inscrit le juge Hakim Karki, se dit scandalisé et compte déjà saisir le nouveau ministre de la Justice du gouvernement Ayrault dès sa nomination.
« Par le passé, nous avions déjà constaté dans ce tribunal, sur le terrain purement administratif, des décisions de gestion de la situation du personnel tout à fait surprenantes », indique Emmanuel Poinas, le secrétaire national du Syndicat des magistrats-FO.
De son côté, le syndicat des greffiers de France trouve cette situation « inadmissible » : « On cherche à abattre un juge qui enquête sur une affaire sensible en s’attaquant à sa greffière", a réagi Annette Pelletier-Glaive, secrétaire générale adjointe du syndicat. "En demandant qu’on étudie la facture détaillée de ses lignes téléphoniques, on porte atteinte à sa vie privée. On cherche à déstabiliser cette greffière en la faisant travailler selon des horaires inadmissibles, jusqu’à une heure du matin par exemple ou en lui refusant ses vacances".