Les médias indiens, considérés comme l’un des piliers de la plus grande démocratie du monde, sont rongés par la corruption, un phénomène connu sous le nom d’"informations rémunérées" permettant aux journaux de publier des articles contre de l’argent, révèle une enquête.
NEW DELHI (AFP) - Les médias indiens, considérés comme l’un des piliers de la plus grande démocratie du monde, sont rongés par la corruption, un phénomène connu sous le nom d’"informations rémunérées" permettant aux journaux de publier des articles contre de l’argent, révèle une enquête.
Le rapport rédigé par deux journalistes d’investigation pour le Conseil indien de la presse, qu’a pu se procurer l’AFP, jette une lumière accablante sur les pratiques de la profession censée servir de rempart à la corruption à l’oeuvre dans de nombreux domaines de la vie publique en Inde.
Les journaux régionaux en langue vernaculaire sont les plus concernés mais les grands noms de la presse quotidienne en anglais n’échappent pas aux critiques. Le groupe Times of India est notamment montré du doigt.
"Cette pratique concerne les journaux, les chaînes de télévision, petites et grandes, dans des langues différentes et dans tout le pays", résume le rapport de 70 pages, qui s’appuie sur des témoignages de journalistes respectés et d’hommes politiques ainsi que sur des exemples d’articles douteux.
Dans le cas le plus flagrant des "informations rémunérées" ("paid news"), les journaux fixent un prix aux candidats politiques pour des articles couvrant leur campagne ou critiquant leurs opposants.
Le rapport cite le témoignage de l’ancien ministre de l’Aviation civile, Harmohan Dhawan. En 2009, celui-ci était candidat à un siège dans l’Etat du Punjab lorsqu’il reçut un jour des appels des journaux en hindi Dainik Jagran et Punjab Kesri.
"Un représentant du Dainik Jagran est venu me voir vingt jours avant l’élection et m’a clairement dit : +Si vous voulez une couverture de l’élection, vous devez acheter un forfait", a-t-il raconté, précisant avoir rejeté l’offre.
Plusieurs hommes politiques cités dans l’enquête ont indiqué s’être vu proposer des "forfaits" pour un montant allant de 1.000 à 20.000 dollars.
Dans l’Etat de l’Andhra Pradesh (sud), des syndicats de journalistes évaluent le montant total des accords secrets à entre 70 et 220 millions de dollars.
Un responsable du groupe Jagran a qualifié les accusations contre le journal de "rumeurs répandues par des candidats frustrés d’avoir été battus".
Dans l’Etat du Maharastra (sud), des articles identiques sont parus dans trois journaux différents en octobre, dotés du même titre pour évoquer l’homme à la tête du gouvernement local, Ashok Chavan : "Un dirigeant jeune et dynamique".
M. Chavan a répondu qu’il s’agissait de communiqués de presse publiés tels quels par erreur par les quotidiens.
L’enquête révèle par ailleurs des conflits d’intérêt du fait d’"accords privés" entre des entreprises et des journaux.
Les éditeurs du Times of India possèdent ainsi des parts dans 140 entreprises des secteurs de l’aviation, de la distribution ou encore du divertissement, ce qui compromet la capacité du journal à rester indépendant.
"Le lecteur ou le téléspectateur ne sait pas qu’il y a une relation financière" entre le journal et l’entreprise, dénonce l’un des auteurs de l’enquête, Paranjoy Guha Thakurta, interrogé par l’AFP.
Dans un sondage cité dans le rapport et mené en mars par le magazine Reader’s Digest, les journalistes figuraient au 30e rang sur 40 des professions dignes de confiance, à côté des coiffeurs et des chauffeurs de bus.