Les Antilles Françaises poussent à la création d’un sanctuaire des baleines en Caraïbe. Un exemple que pourrait suivre la Réunion en poussant l’activité de whale watching.
La Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélemy veulent créer un sanctuaire des mammifères marins en Caraïbe. Ce projet, qui s’inspire des sanctuaires déjà établis en Polynésie et en Méditerranée, a pour objectif de constituer un espace marin dans lequel il y aurait une gestion concertée avec tous les acteurs du milieu de la mer.
Un projet ambitieux qui n’entend pas s’arrêter aux seules eaux françaises. "Les Antilles néerlandaises, d’autres zones comme Montserrat, les Iles Vierges souhaitent nous rejoindre dans notre démarche. L’intérêt est d’augmenter la zone au fur et à mesure, pour que le sanctuaire ne soit pas uniquement dans les eaux territoriales françaises", explique Franck Mazenas, le chef de mission à la direction de l’Environnement en Guadeloupe.
Le sanctuaire serait une zone phare pour des activités éco touristiques, selon Jean-Louis Vernier, le directeur régional de la direction de l’Environnement à la Martinique. "Il est vrai que certains pays sont réticents à interdire toute chasse à la baleine", avoue t-il. "J’espère un sanctuaire beaucoup plus large avec d’autres îles. On peut déjà montrer qu’il est plus intéressant économiquement pour un pays de développer une activité de whale watching (observation des baleines), plutôt que de tuer une baleine pour ensuite faire un usage en produits cosmétiques et autres. Il faudra tout même encadrer ces activités d’observations de baleines", conclue Jean Louis Vernier.
Car depuis les années 90, le Japon cherche à lever le moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales. Certains pays de la zone Caraïbes sont accusés de monnayer leur vote à la CBI, six d’entre eux ayant rejoint le Japon dans sa quête. Seul rempart, le whale watching, autrement dit l’observation des baleines, poussée également à la Réunion par Globice, le Groupe local d’observation des cétacés
(voir notre article : l’observation des baleines bientôt reconnue dans l’île).
Une reconnaissance que l’Ile de la Réunion Tourisme pourrait reconnaître dans les mois à venir en favorisant le référencement de la Réunion parmi les sites extraordinaires d’observation des cétacés.
Interview de Jean Louis Vernier, directeur régional de l’environnement de la Martinique.
En quoi le projet AGOA aux Antilles Française permet-il de protéger les cétacés ?
La chasse aux baleines est toujours pratiquée comme vous le savez, soit sous couvert scientifique soit pour des raisons traditionnelles. La position de la Commission Baleinière Internationale évolue au fil des réunions sous la pression de certains, qui parviennent à "convaincre" certains petits états et ainsi menacer à terme le moratoire international décidé sur la chasse à la baleine.
Cette chasse se réalisant en partie aussi dans les eaux de l’arc caribéen (quoique de manière moins importante que dans les eaux plus au nord), il apparut stratégique à la France d’affirmer et de concrétiser clairement sa position à la CBI en créant d’abord sur ses eaux territoriales une zone sanctuaire pour les mammifères marins : c’est le projet appelé AGOA (déesse de la mythologie amérindienne), projet porté depuis près d’une vingtaine d’années par les associations et notamment ECCEA (ndlr : l’Eastern caribbean coalition for environmental awareness).
Cette protection sera en fait redondante avec la protection déjà instituée par la France dès 1995, mais surtout offrira une vitrine d’abord des méthodes de gestion, d’observation et de protection et ensuite un cadre juridique auquel pourront adhérer les pays voisins de l’arc caribéen
Les premiers pays adhéreront rapidement car déjà en phase avec la position française ou ayant déjà eux-mêmes initié de telles protections, d’autres pays seront certainement convaincus n’ayant pas d’intérêt particulier dans la chasse à la baleine, l’idée étant de pouvoir isoler - une représentation géographique des zones non adhérentes sera certainement très parlante - petit à petit les pays les plus concernés et d’assurer par tache d’huile l’extension à terme de ce sanctuaire à l’ensemble de la mer des caraïbes
Les baleines sont elles menacées dans votre zone ?
La menace est relativement faible localement, la pression étant surtout japonaise, quelques baleines sont capturées à titre traditionnel par Saint Vincent, mais la menace potentielle est plus forte avec la pression du Japon, qui, moyennant un lobbying financier, conforte ses positions en matière de chasse scientifique.
Il y a aussi des menaces « émergentes » qui ne sont pas pris en compte par l’arrêté du 27 juillet 95 (qui protège les mammifères marins, mais surtout en interdisant leur capture et leur commercialisation). Il s’agit de la pollution sonore sous-marine, et notamment l’impact sur les cétacés des prospections sismiques, mais aussi les captures accidentelles dans les engins de pêche (heureusement très rare aux Antilles françaises), les risques de collisions liés au trafic maritime, la pollution (et la dégradation des habitats) et le « whale-watching » qui peut créer un stress important s’il est mal pratiqué.
Le projet Agoa vise aussi à mieux gérer ces activités, afin d’assurer une coexistence harmonieuse de l’homme et des mammifères marins. Il y a donc en plus des enjeux politiques (en lien avec la CBI et le moratoire sur la chasse) évoqués ci-dessus, des enjeux de conservation, mais aussi d’amélioration des connaissances, de développement économique et de pédagogie (éducation à l’environnement) qui expliquent cette volonté du gouvernement français et des élus locaux de créer le sanctuaire Agoa.
Vous vivez dans une région du monde ou les baleines sont chassées, comment empêcher le massacre ?
En érodant petit à petit la position des pays défenseurs de la chasse à la baleine au sein de la CBI (Commission Baleinière Internationale) et en affichant une solidarité entre états sur cette protection : les quelques états qui resteront à terme, je l’espère isolés devraient être dans une position intenable.
L’observation des baleines est-elle ce frein à la chasse ?
Non, une activité plus ou moins professionnalisée se développe aux Antilles, sans lien avec la chasse.
Il peut cependant y avoir des liens car l’Etat de la Dominique qui a souhaité développer fortement son activité d’écotourisme baleinier a cessé de soutenir le Japon depuis 2009, considérant que les deux positions étaient incompatibles (et sous pression il est vrai des lobbies de protection de la nature comme WWF ou Greenpeace qui déconseillaient aux touristes d’aller faire du « whale-watching » à la Dominique !).
Le spot antillais est-il référencé comme site mondial d’observation ?
Pas à ma connaissance, la méthodologie d’observation étant en cours de standardisation justement dans le cadre du projet AGOA, et sous la direction de l’Agence des Aires marines Protégées. Cependant la Dominique commence a devenir un site référencé.
Quelles sont les retombées directes ou indirectes pour les Antilles ?
Le développement de l’observation à caractère touristique des baleines peut constituer une activité nouvelle complémentaire, bien que marginale.
A t’il était difficile de faire entendre votre voix alors que vos voisins directs pactisent avec le Japon pour autoriser la chasse ?
Nous sommes aux débuts des contacts avec les pays voisins, mais depuis 3 ans que nous avons réellement investi dans ce projet, plusieurs contacts ont été positifs : la Dominique a ainsi fortement modifié sa position qui était plutôt favorable à la chasse, la république Dominicaine qui a déjà mis en place une petite zone sanctuaire accueille favorablement le principe, elle peut entraîner Cuba et Haïti.
Nous espérons à la fin 2010 ou début 2011 avoir officiellement mis en place le sanctuaire marin franco-français et être en mesure lors de la 2è conférence internationale sur les sanctuaires marins qui sera organisée fin 2011 avec l’UICN (union internationale pour la conservation de la nature), de faire adhérer plusieurs pays caribéens. D’ailleurs les Antilles Néerlandaises ont déjà fait savoir qu’elles étaient favorables à une adhésion au sanctuaire.
L’expérience acquise peut elle servir aux Réunionnais ?
Nous avons depuis 3 ans, travaillé sur la coordination et la standardisation des méthodes d’observation. Et donc l’obtention d’un consensus ou d’un accord moyen entre les scientifiques et les bénévoles, mais aussi l’élaboration de documents d’information et de sensibilisation à destination des anglophones, francophones et hispanophones, ou encore la définition d’un cadre juridique permettant la création d’un nouveau type de zone protégée en droit français, et capable d’accueillir l’adhésion de pays étrangers.
Pour ces 3 volets, le travail n’est pas terminé mais est bien évidemment à la disposition de la Réunion, puisque ayant été financé entièrement sur les crédits du Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer.
Il est clair que nous sommes en train « d’essuyer les plâtres » en ce qui concerne la méthode de création d’un sanctuaire marin en France, et il faut espérer que cela servira à d’autres territoires français.
C’est particulièrement intéressant pour le sud-ouest de l’océan Indien car un projet préparé par la Commission de l’Océan Indien (COI) devrait bientôt voir le jour. Il s’agit du projet « étude et conservation des cétacés des pays COI » pour lequel le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) va très prochainement lancer une étude de faisabilité. Sans attendre le démarrage de ce projet, des actions ont déjà été conduites par l’Agence des aires marines protégées pour améliorer la connaissance des cétacés dans cette zone : (1) recensement des cétacés par survol aérien (mis en œuvre par l’université de la Rochelle / CRMM, cela vient de se terminer et les premiers résultats sont impressionnants : forte diversité et densité de cétacés), et (2) mouillage d’hydrophones pendant 1 an prés des iles Eparses et de Tromelin pour identifier les cétacés grâce à l’acoustique. A noter aussi, la création d’une base de données de photo-identification régionale financés par le Ministère des Affaires étrangères et mis en œuvre par la COI. A terme, tout ce travail pourrait conduire à la création d’un sanctuaire régional pour les mammifères marins, qui viendrait renforcer et compléter sur une zone géographique plus restreinte le sanctuaire baleinier de l’océan Indien.