Mise en cause dans la multiplication des attaques de requins, la Réserve marine est sortie de son silence ce mercredi. Selon ses administrateurs, le lien de cause à effet entre les attaques et la présence de la réserve n’est pas avéré.
Depuis la dernière attaque mortelle de requin survenue le 23 juillet dernier sur le spot de Trois Bassins, la Réserve marine naturelle a été pointée du doigt, accusée d’attirer les requins aux abords des côtes réunionnaises. Le maire de Saint-Leu Thierry Robert a demandé la révision des limites de la réserve naturelle. Le ministre des Outre-mer Victorin Lurel a annoncé quant à lui qu’un arrêté préfectoral serait pris pour autoriser la pêche dans 95% de la réserve sous conditions.
Ce mercredi, Jean Erpeldinger et Mélissa Cousin, élus écologistes et administrateurs de la Réserve Marine, ont diffusé un communiqué.Estimant que la seule certitude dans ce dossier est le fait "qu’un jeune homme est décédé dans des conditions choquantes et traumatisantes", la Réserve marine estime que "pour le reste, le conditionnel doit rester de mise".
Contrairement à ce que certains élus affirment, la réserve marine assure qu’il n’y a aucun élément tangible et scientifique permettant d’établir un lien entre les attaques de requins et la création de la réserve marine. "Il n’y a pas d’effet « garde-manger » qui expliquerait une présence accrue de requins bouledogues", affirme la réserve, qui rappelle les enjeux et objectifs de la réserve qui a également pour but de préserver les récifs coralliens.
"Il est irresponsable d’entretenir l’illusion qu’il existe des solutions faciles et rapides.", considère la Réserve qui estime que l’idée des prélèvements "peut paraître séduisante", mais qu’elle n’a pour l’instant pas de raison d’être appliquée. La Réserve pose ainsi plusieurs questions : "Les individus prélevés seront-ils les spécimens dangereux (Le requin en question n’avait pas rencontré les poseurs de balises) ? A partir de quel tableau de chasse pourra-t-on proclamer que la sécurité est revenue ? Qui prendra le risque de l’affirmer et de renvoyer tout le monde à l’eau ?"
Communiqué de la Réserve Marine dans son intégralité :
"Une semaine après le drame qui s’est noué sur le spot de Trois-bassins ne demeure qu’une seule certitude, un jeune homme est décédé dans des conditions choquantes et traumatisantes. Ces proches, ces amis portent un deuil douloureux, c’est à eux, aussi, que nous pensons en écrivant ce courrier et nous voulons les assurer de notre sympathie.
Seule certitude, car pour le reste, le conditionnel doit rester de mise. En particulier, aucune donnée scientifique ne peut permettre d’incriminer la Réserve Marine dans la recrudescence des attaques de requins ou d’affirmer que des prélèvements massifs de requins apporteraient un surcroit de sécurité durable.
Pour commencer, par la réserve marine, tous les observateurs avisés s’accordent pour dire que bien qu’on note une légère amélioration de l’état de notre récif, elle est loin d’avoir produit des effets miraculeux. Il n’y a pas d’effet « garde-manger » qui expliquerait une présence accrue de requins bouledogues. Mieux encore, il semblerait que dans un récif de qualité optimale, ce sont d’autres types de requins, non dangereux, qui seraient observés. Rappelons que le bouledogue aime les environnements dégradés et les eaux de mauvaise qualité. Il y a, sans doute, plus à faire dans la réduction des pollutions d’origine humaine et dans une sauvegarde accrue de notre environnement.
Faut-il rappeler que les enjeux de la Réserve Marine ne se limitent pas à la protection des poissons ? Derrière l’enjeu sur les poissons, c’est le récif et la santé des coraux qui sont en jeu et au-delà l’équilibre d’un système complexe qui protège les côtes de l’Ouest.
L’idée du prélèvement de requins peut paraître séduisante, elle obéit à un raisonnement simple qui voudrait qu’en éliminant des spécimens potentiellement dangereux, on offrirait un surcroit de sécurité. Sauf que là encore, nous avancerions à l’aveuglette. Les individus prélevés seront-ils les spécimens dangereux (Le requin en question n’avait pas rencontré les poseurs de balises) ? A partir de quel tableau de chasse pourra-t-on proclamer que la sécurité est revenue ? Qui prendra le risque de l’affirmer et de renvoyer tout le monde à l’eau ?
Toutes ces questions ne pourront trouver de réponses, sans un éclairage scientifique à la hauteur. Nous sommes dans le temps des études, sachons raison garder. Il est irresponsable d’entretenir l’illusion qu’il existe des solutions faciles et rapides.
Nous, écologistes, avons déjà dit que s’il était avéré que quelques prélèvements ciblés pouvaient apporter une réponse durable à cette crise, ils devraient alors être envisagés (Monsieur Thierry Robert croit-il vraiment être le seul à choisir une vie humaine contre la vie d’un requin ?). Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, il faut attendre les conclusions des études. Aujourd’hui, une telle décision n’a pas de sens et en entretenant la fable d’un règlement de la crise, elle pourrait être à l’origine de nouveaux drames. Il est honteux de voir des politiciens se vautrer dans une démagogie facile, mais dont les effets sont tout à fait discutables.
Nous avons pris connaissance de la position du Ministre de l’outre-mer qui diffère sensiblement des affirmations trompeuses de Thierry Robert (Il apparaît, notamment, que le retrait de son arrêté municipal est motivé par des soucis de légalité).
Néanmoins, sa position en faveur de la pêche aux requins nous interpelle pour les raisons évoquées ci-dessus. Dans ce contexte, nous nous engageons, bien sûr, à rester vigilants et à partager notre position avec les ministres écologistes du gouvernement.
Plus que jamais, nous restons mobilisés pour trouver des solutions, qu’elles soient préventives ou qu’elles apportent une amélioration à long terme. Nous sommes à l’écoute du monde scientifique, mais, aussi, des usagers et des amoureux de la nature.
Les équipes de la Réserve Marine font un travail difficile avec une volonté de dialogue qui ne s’est jamais démenti. Alors que la menace sur la biodiversité mondiale et que la pression humaine menace les équilibres de nos côtes n’ont jamais été aussi forte, ce travail est indispensable, notre soutien leur est acquis."