Lundi, Juliano Verbard et Jean-Fabrice Michel ont entamé une grève de la faim. Ils espèrent ainsi être transférés ensemble à la prison de Fresnes, en métropole. Une idée qui a peu de chances d’aboutir, puisque leurs dossiers sont tous les deux en instruction à Saint-Denis. Mais leur état de santé peut-t-il conduire les autorités à les transférer à l’hôpital ?
La grève de la faim est de plus en plus fréquemment utilisée pour aboutir à ses fins. La fin au prix de la faim, la méthode en a convaincu plus d’un. Des sans papiers au député Jean Lassalle (1) en passant plus près de chez nous par les trois employés du Crédit Agricole, la méthode non violente, à la fois expression d’un désespoir mais aussi stratégie apitoyante semble sinon avoir fait ses preuves, en tous cas se banaliser. La semaine dernière encore, 1700 gendarmes et policiers étaient mobilisés pour arrêter Juliano Verbard et ses complices. Aujourd’hui l’intéressé voudrait bien jouer à nouveau les filles de l’air, traverser les mers et atterrir en métropole. Là, il compte bien avoir l’occasion de se rapprocher de son compagnon, Jean-Fabrice Michel, pour lequel déjà l’évasion héliportée avait été organisée, selon son avocat Me Normand. Si cette démarche a d’ailleurs l’avantage de conforter la position de ce dernier, qui plaide l’histoire d’amour, elle a néanmoins peu de chances d’aboutir. D’abord parce que, objets d’instructions qui se déroulent à Saint-Denis, on imagine mal l’autorité judiciaire se séparer d’individus qu’elle a déjà eu du mal à conserver entre ses murs. Ensuite parce que si leur état de santé devait empirer, les deux individus se retrouveraient de facto alimentés contre leur gré, grâce à des perfusions.
Les individus ne sont pas égaux devant la grève de la faim. Certains peuvent ainsi "tenir plusieurs mois", selon le docteur Stéphanie Fayeulle (2), d’autres doivent être rapidement hospitalisés. C’est le cas en particulier des personnes souffrant d’une "tare sous-jacente", c’est-à-dire une maladie chronique pré-existante, comme par exemple le diabète. Une grève de la faim est évidemment particulièrement contre-indiquée avec leur état. Ces personnes doivent donc immédiatement être prises en charge. Ensuite, même sans souffrir d’une pathologie en particulier, les corps ne sont pas égaux. Ainsi les individus un peu forts vont bénéficier de leur graisse qui va les aider à tenir la distance. Si pour le docteur Fayeulle, "il faut toutefois se méfier des généralités car d’autres paramètres peuvent entrer en jeu", de ce point de vue au moins dans le cas de Juliano Verbard et de Jean-Fabrice Michel, que l’on a pu apercevoir amaigris à l’occasion de leur présentation au juge, il est clair qu’ils ne partent pas avec un avantage.
Mais que l’on parte avec ou sans avantage, lorsque l’état de santé le justifie -les médecins vérifient la tension artérielle, la fréquence cardiaque, le taux de sucre, les douleurs- le corps médical intervient. L’individu se trouve alors, plus ou moins malgré lui, sous perfusion, c’est-à-dire sustenté artificiellement. Une grève de la faim partielle. Des solutions de chlorure de sodium (apports en sel), de glucose (apports en sucre) ainsi que des électrolytes (compléments) forment alors son menu quotidien. Pour des personnes libres, cela n’empêche pas, sinon améliore, la portée médiatique de la démarche. Mais à l’ombre des barreaux de la prison ou de l’hôpital, difficile d’espérer le même résultat, même s’il est certain que les adeptes seront particulièrement sensibles à l’état de leur gourou. Car dans un premier temps ces soins peuvent être prodigués au sein de la prison, par les équipes soignantes. Ce n’est que si l’état de l’intéressé le justifie -s’il nécessite une surveillance médicale 24h sur 24- qu’il fera alors l’objet d’une hospitalisation.
A la Réunion, les hôpitaux de Saint-Benoît, Saint-Denis et Saint-Paul sont en mesure d’accueillir des détenus. L’autorité hospitalière reste en revanche très discrète sur leur capacité ainsi que sur leurs conditions d’accueil. En attendant, à la prison de Domenjod on redouble de surveillance pour protéger les détenus contre eux-mêmes. L’annonce de leur grève de la faim a, comme le prévoit les procédures, immédiatement déclenché la mise en oeuvre d’un "protocole" particulier, visant à s’assurer quotidiennement de leur bon état de santé. "Matin, midi et soir, le personnel de service doit rendre compte de leur état de santé" explique ainsi Erick Ajorque, responsable départemental UFPA-UNSA qui ajoute : "en plus, comme ils ont manifesté leur intention de se suicider, cela nous oblige a augmenter encore notre surveillance à leur égard".
(1) Député et président du conseil général des Pyrennées-Atlantique en 2006 pour s’opposer à la délocalisation d’une usine
(2) Médecin généraliste et auteure d’une thèse sur "la prise en charge de la grève de la faim dans le milieu carcéral"