Economiste, Jean-Yves Rochoux analyse la crise qui secoue actuellement la Réunion. Il affirme qu’en 2011, différents événements pouvaient laisser supposer qu’un « Cospar bis » n’était pas impossible compte tenu des facteurs mondiaux. Aujourd’hui, il apporte des propositions pour renforcer le pouvoir d’achat des Réunionnais et répondre aux attentes de la population.
Selon lui, le blocage ou la baisse des prix des produits de première nécessité est "une mesure spectaculaire, sans doute indispensable, mais avec de multiples inconvénients au-delà de son caractère provisoire". Il affirme que pour augmenter le pouvoir d’achat des Réunionnais les plus modestes, "il est sans doute plus logique et plus efficace de tenter d’agir sur leurs revenus plutôt que sur les prix".
Carte blanche à Jean-Yves Rochoux :
La crise sociale ouverte à la Réunion en 2012 : les propositions ?
En 2011, différents événements pouvaient laisser supposer qu’un « Cospar bis » n’était pas impossible compte tenu des facteurs mondiaux (hausses des produits alimentaires de base et des produits pétroliers) et des multiples conflits sociaux internes (prix du carburant pour les transporteurs, conflit social CGTR/EDF, bonus Cospar...).
En fait, il n’y a pas eu de crise sociale ouverte en 2011 malgré un blocage (rituel) de la SRPP par les transporteurs.
Cela tient, peut-être, à l’espérance suscitée par l’initiative de la CCIRPP, à la modération des syndicats de salariés et aux difficultés rencontrées par les leaders des associations « dites de consommateurs2 » pour mobiliser le grand public. Finalement, en février 2012, la crise va se déclencher avec un nouveau conflit des transporteurs alliés à certaines associations de consommateurs. Les syndicats de salariés ne sCela va déboucher sur, au moins, quatre ou cinq jours de violences aux quatre coins de l’île.
Aujourd’hui les négociations sont enclenchées et les propositions fusent pour tenter de calmer le jeu. Il faut dire que des échéances électorales sont proches et que chacun est soucieux de se positionner avantageusement par rapport à ses électeurs. Ce qui est logique. Il peut être important d’examiner différentes propositions (les plus importantes) afin de tenter d’en apprécier les conséquences (plutôt sur le mode critique mais sans vouloir donner de leçon, car proposer dans la situation actuelle mérite le respect).
Le blocage ou la baisse des prix des produits de première nécessité
C’est une mesure spectaculaire, sans doute indispensable, mais avec de multiples inconvénients au-delà de son caractère provisoire.
- Il va sans doute être très délicat d’établir la liste des produits de première nécessité dans un monde où l’on s’éloigne de la nécessité pour laisser de plus en plus de place au désir (peu de ménages on vraiment faim à la Réunion) ! Et puis il n’est pas sûr que « nos pauvres » apprécient la stigmatisation par l’étiquette. Est-ce qu’une étude a été faite sur l’influence des prix Cospar sur les ventes des produits correspondants ?
- L’inconvénient majeur de la mesure c’est qu’elle constitue un avantage pour tous, elle est donc largement inefficace par rapport à sa cible (la pauvreté ?), c’est donc un
gaspillage d’argent privé.
La crise sociale ouverte à la Réunion en 2012 : les propositions ?
les consommateurs vont en profiter logiquement pour acheter d’autres produits (ils ne vont pas acheter plus de biens première nécessité) ou monter en gamme, c’est bien pour eux mais cela introduit des distorsions économiques diverses,
- les distributeurs (lesquels ? tous ou seule la grande distribution -GD - est concernée ?) peuvent en profiter pour augmenter les prix des produits non concernés et donc transférer la marge ! Ce qui est normal pour une entreprise.
- cela risque, si la GD est seule concernée, de mettre encore plus en difficulté le
commerce de proximité en renforçant le caractère concurrentiel de la GD sur les produits de base,
- de la même façon, il est probable, que la production locale va subir de plein fouet la
comparaison avec des produits importés de moindre qualité et moins coûteux, même si le Département se propose d’aider à financer la baisse des prix des produits locaux
estampillés « nou la fé » et « Soleil Réunion »...
Au total, c’est sans doute une mesure qu’il faut mettre en oeuvre, de manière provisoire, mais qui de nombreux inconvénients qu’il convient d’étudier.
La baisse du prix des carburants
C’est aussi une mesure incontournable (8 cts pour les ménages, 13 cts pour les transporteurs ?), mais elle est encore plus porteuse d’effets néfastes que la précédente.
- C’est un non sens écologique, avec une désincitation par rapport aux économies
d’énergies et au passage à des énergies alternatives,
- c’est aussi une course sans fin après des prix qui ne feront que croître, il y aura sans
doute toujours du pétrole mais de plus en plus coûteux à obtenir,
- c’est encore un avantage pour tous et donc inefficace (/pauvreté), à ma prochaine
bouteille de gaz je pourrais acheter un cigare pour le même prix
- si c’est payé par les collectivités locales, on va assister à une augmentation des impôts locaux ou une baisse des autres dépenses publiques et nous pourrons chanter (on a perdu, ce que l’on a gagné), si c’est payé par les pétroliers ils vont tenter de le récupérer sur les stations services ou se retirer du jeu (?).
Pour une consommation annuelle de 487 millions de litre de carburants à la Réunion
pour l’année, l’aide va représenter 27 millions pour les collectivités et 2 millions pour les pétroliers.
La création d’un nouveau site de stockage du carburant
Sur proposition du président de Région, les autres collectivités et l’État ont approuvé
la création d’un nouveau site de stockage des carburants. Cela leur semble réalisable à court terme, ce qui est assez surprenant ! C’est sans sans doute un point à étudier, mais cela ne peut concerner que le moyen terme et la logique économique n’est pas évidente.
On peut se demander qui va payer l’investissement et le fonctionnement du dispositif
(les 2 cts de la SRPP pour l’instant) et assurer le fonctionnement du système (quel
approvisionnement, quel bateau, quel port ?).
- Initialement, sauf à penser à une augmentation importante des quantités consommées et donc à stocker, une capacité de stockage supplémentaire c’est d’abord une augmentation du coût global du stockage et donc du prix au litre !
La crise sociale ouverte à la Réunion en 2012 : les propositions ?
Pour faire concurrence à la SRPP, j’imagine que ce n’est pas du côté du stockage qu’il faut espérer (2 cts !), mais de l’approvisionnement, pour l’instant l’expérience de la CCIRPP incite plutôt à la prudence même s’il faut sans doute étudier l’amont de la filière carburant
Et puis il faudra sans doute tirer au sort la commune qui va accepter d’héberger un
site Sévézo !
À priori, de manière très subjective, cela ne semble pas un être un investissement
d’avenir. Il y a sûrement mieux à faire dans le genre pour 100 à 200 millions d’euros, par exemple dans le domaine des énergies alternatives ou des additifs carburants traditionnels (?) ou dans celui des connaissances !
Il me semble que le problème est pris par le mauvais bout !
Si l’on désire augmenter le pouvoir d’achat des Réunionnais les plus modestes, il est
sans doute plus logique et plus efficace de tenter d’agir sur leurs revenus plutôt que sur les prix. Augmenter les revenus économiques (l’emploi, c’est l’idéal) et les revenus sociaux est la seule piste vraiment efficace.
L’attaque par les prix est peu efficace en matière d’amélioration du pouvoir d’achat des plus modestes (partielle, partiale, pas ciblée...). Tenter de faire de la Réunion le paradis du low cost c’est sans doute « mission impossible ». En plus cela me semble dangereux pour la qualité des produits, l’innovation, notre capacité productive, notre emploi et notre développement à terme.
Cela ne signifie qu’il faut négliger l’action sur la concurrence, du fait de notre
vulnérabilité naturelle, historique et économique aux manoeuvres anticoncurrentielles. On attend toujours (discours du premier ministre au Tampon !) le renforcement de
l’administration locale de la concurrence, même si un petit effort a été fait pour l’OPR.
Mais je pense, compte tenu de la conjoncture, qu’il faut surtout compter sur nous même.
Est-ce qu’il ne serait pas possible de discuter avec l’État de certains avantages consentis aux ménages en matière de fiscalité directe (abattement de 30 % des DOM sur l’IR) ou de rémunération des fonctionnaires. Je sais, c’est dangereux ! Est-ce qu’il serait possible aussi d’imaginer un nouvel impôt local (oh que c’est laid !) de solidarité !
Jean-Yves Rochoux