D’après les estimations réalisées, la commande publique pourrait, en 2009, être amputée de plus d’un tiers par rapport à 2008. Les conséquences en seraient alors une diminution de la croissance de 2 points. Au minimum 3 900 emplois directs et indirects seraient également menacés.
I - La commande publique a contribué significativement à la croissance économique réunionnaise
La Réunion se caractérise par une croissance économique robuste depuis le milieu des années 1990. La croissance annuelle moyenne s’établit à 4,3 % en volume sur la période 1993-2008. Ce niveau très élevé en fait une des régions françaises les plus dynamiques. A titre de comparaison, la progression annuelle moyenne du produit intérieur brut de la France a été limitée à 2,1 % au cours de la même période. S’il est admis que la consommation finale des ménages a constitué le principal moteur de cette croissance, la commande publique, composée des travaux routiers, de génie civil ainsi que des constructions publiques (bâtiments administratifs, établissements scolaires, infrastructures portuaires et aéroportuaires,… hors logement social) a joué un rôle prépondérant dans le dynamisme économique réunionnais à partir de 2004. Durant ce cycle de grands travaux, de 2004 à 2008, les montants la concernant sont passés, pour les principaux maîtres d’ouvrage (Etat, Région, Département et CCI), de 234 millions d’€ en 2004 à 555 millions d’€ en 2008 après un pic à 667 millions d’€ en 2007, soit une croissance annuelle moyenne de 24 %. Cette commande publique a permis de doter l’île d’infrastructures indispensables à son développement telles que les réseaux routiers, les équipements portuaires et aéroportuaires, les équipements sanitaires, judiciaires, d’enseignement et de formation.
Commande publique et emploi
Combinée aux différentes lois de défiscalisation immobilière, l’augmentation de la commande publique ces dernières années a participé à la hausse sensible des effectifs salariés du bâtiment et des travaux publics (2004 : + 9,2 %, 2005 : + 13,0 %, 2006 : + 14,0 %, 2007 : + 10,3 % et 2008 : +6,0 %)1. La nette augmentation du nombre de salariés travaillant dans les travaux publics suite au démarrage du chantier de la route des Tamarins ainsi que le renforcement et le maintien à un niveau élevé des personnels employés au plus fort de la réalisation du chantier (1 043 travailleurs en 2006 et 1 049 en 2007) illustrent l’impact de la commande publique sur l’emploi salarié dans la construction. Au total, la route des Tamarins a permis de créer environ 1 500 emplois directs sur l’ensemble de la durée des travaux.
Le rapprochement entre l’emploi salarié du secteur du BTP en 2008 (légèrement plus de 23 000 emplois) et le volume d’investissements engagés dans l’année (environ 2,1 milliards d’€), permet de calculer le ratio d’emplois directs et indirects par million d’euros investi2. Ce ratio s’élève à 10,8 emplois pour l’ensemble du BTP en 20083. Le secteur du bâtiment étant plus utilisateur de main d’œuvre que celui des travaux publics, le ratio y est de 12,2 emplois contre 7,8 pour ce dernier. Appliqués aux montants investis à travers la commande publique (travaux publics + constructions publiques hors logements sociaux), ces ratios révèlent que 8 000 emplois y sont liés en 2008, dont 5 300 pour les travaux publics et 2 700 pour les constructions.
Ainsi, la commande publique a permis au secteur du bâtiment et des travaux publics d’être le moteur du dynamisme de l’économie réunionnaise en termes de créations à la fois de richesses et d’emplois, entraînant dans son sillage l’ensemble des autres secteurs d’activité.
II – Diminution de la commande publique en 2009
Si l’année 2008 se caractérise une nouvelle fois par de bonnes performances du secteur du bâtiment et des travaux publics, dont le volume d’activité est légèrement supérieur à celui de l’année précédente, elle marque également la fin d’un cycle exceptionnel de dépenses d’investissement dans le cadre de la commande publique. En effet celle-ci, principalement portée par les travaux routiers (plus de 40 % en moyenne depuis le début des années 1990), est confrontée à un « trou d’air » provoqué par la conjonction de deux facteurs, l’achèvement d’un certain nombre de grands chantiers et l’abandon ou du report d’autres projets.
En premier lieu, certains chantiers de grande envergure se sont achevés récemment, ou sont sur le point de l’être. C’est le cas de la route des Tamarins, de l’extension et l’aménagement du Port Est, de la réalisation du Boulevard Sud à St-Denis (avec notamment le pont de la Rivière des Pluies, le dédoublement de la voie à Ste-Clotilde et la tranchée couverte Mazagran/Doret) ou de la prison de Domenjod. Ces projets n’ont pas été par ailleurs relayés immédiatement par le projet de Tram-Train - dont l’investissement est évalué au minimum à 1,6 milliard d’€ - comme prévu initialement, suite aux retards accumulés.
Pour visualiser l’importance de ces quatre chantiers au sein de la commande publique, il est intéressant de relever qu’ils en représentent environ 40 % de 2006 à 2008 et que la seule route des Tamarins a absorbé en moyenne plus de 30 % des montants de la commande publique au cours de cette période. Ces quatre projets ont totalisé environ 330 millions d’€ d’investissement au cours de l’année 2008 qui ne se retrouveront pas en 2009, à l’exception de la route des Tamarin qui se poursuivra au premier semestre. Il peut ainsi être considéré que leur achèvement se traduira par une diminution de la commande publique de l’ordre de 200 millions d’€ par rapport à 2008, ce qui représente presque un quart de la commande publique estimée de l’année 2008.
La seconde cause de diminution de l’activité provient de l’abandon ou du report de nombreux projets – pour certains déjà engagés – par des municipalités nouvellement élues dans le courant de l’année. Ils viennent s’ajouter aux projets accusant un retard au démarrage lié à d’autres motifs. De moindre ampleur individuelle, ces projets représentent un volume agrégé significatif : Pôle Océan, Zénith, front de mer de St-Denis, rocade du Tampon, station d’épuration du Grand Prado, Maison des Civilisations,…
Au total, les projets abandonnés représentent un montant cumulé d’environ 250 millions d’€ et ceux reportés, ou dont le démarrage est simplement décalé, sont proches de 300 millions d’€. En tenant compte de la date initialement prévue de démarrage des travaux ainsi que de leur durée prévisionnelle, il peut être estimé que le montant des investissements prévus en 2009 qui ne se réaliseront pas, ou qui seront lancés ultérieurement, s’élève à plus de 125 millions d’€ en année pleine.
Rapportés au volume de la commande publique enregistrée en 2008 (905 millions d’€), les montants cumulés des chantiers d’envergure en cours d’achèvement et de ceux de plus faibles montants individuels qui ont été reportés ou abandonnés en représentent un peu plus de 35 % . Faute d’informations plus précises sur l’anticipation de la commande publique pour les prochains mois, ainsi que sur le calendrier concernant les prochains chantiers d’envergure, on estimera une contraction de la commande publique de cet ordre en 2009 par rapport à 2008. Si ce ralentissement se confirmait, l’activité dans les travaux publics pourrait retrouver un niveau proche de 2005, date de début du dernier cycle de grands travaux. Cette contraction d’activité est déjà perceptible pour certains corps de métiers comme les terrassiers et les transporteurs de matériaux.
Les estimations de la baisse de la commande publique doivent néanmoins être considérées avec prudence. La mobilisation des donneurs d’ordre publics (Etat, Région, Département, communes et structures intercommunales) pourrait en effet se traduire par une accélération du lancement de nouveaux chantiers, mais également par une accélération des chantiers déjà lancés. Cependant, compte tenu des délais de démarrage effectif, le lancement de nouveaux chantiers pourra difficilement inverser de façon significative la tendance prévue pour 2009.
III – Les conséquences sur l’ensemble de l’économie réunionnaise
Partant de ces estimations, des simulations ont été réalisées pour mesurer l’impact de cette baisse sur l’ensemble de l’économie
réunionnaise en 2009. L’onde de choc provoquée par la baisse d’activité dans le BTP se transmet à l’ensemble de l’économie par
deux canaux :
* Les entreprises de construction, touchées par la baisse d’activité, réduisent leurs achats de consommations
intermédiaires à destination de leurs fournisseurs. Ces derniers sont contraints, à leur tour, de réduire leur production,
et donc leurs consommations intermédiaires, entraînant un effet en cascade.
* Du fait de la baisse de leurs revenus, conséquence des pertes d’emploi, les ménages consomment moins. La réduction
de la demande adressée aux producteurs concernés pousse ces derniers à réduire également leur masse salariale,
amplifiant l’effet de la baisse des revenus.
IV - Fléchissement de l’activité économique de 2,0 %
Les simulations ont été réalisées à l’aide de la maquette de l’économie de La Réunion à la base des comptes rapides et en particulier des comptes 2008 . Selon le scénario retenu, soit un maintien de 66% des revenus des salariés ayant perdu leur emploi, du fait des revenus de remplacement, la chute de la commande publique dans le BTP entraîne une baisse de la production de l’ensemble des branches de 550 millions d’euros (-2,4 %), 225 millions d’euros de plus que l’effet initial. L’activité économique, mesurée par le PIB, est en retrait de 2 points, soit près de la moitié de la croissance enregistrée en 2007. 60% des investissements de la Réunion étant réalisés dans la construction, l’impact de la baisse des commandes publiques sur les investissements s’élève à 8,4%. Du fait du repli de la consommation des ménages et de la commande des entreprises, les importations baissent de 1,7%, limitant ainsi l’effet sur le PIB.
Le secteur du BTP a un effet d’entraînement important sur le reste de l’économie réunionnaise. Pour produire, il doit acheter l’équivalent de 50 % de la valeur de sa production à d’autres entreprises sous forme de consommations intermédiaires. Ce niveau élevé explique l’ampleur de la diffusion aux autres branches de l’économie de La Réunion. Sous ce seul effet d’entraînement, les consommations intermédiaires décroissent de 2,9 %. L’impact sur le PIB du choc initial et de l’effet d’entraînement est de - 1,6 %. Les branches les plus touchées sont les industries de produits minéraux, dépendantes à 60% des achats de la branche construction dont la valeur ajoutée baisse de 9,1 %. Les autres industries de biens intermédiaires se replient de 4,3 %. Le secteur du BTP étant fortement utilisateur d’emplois par intérim, l’activité des entreprises de services aux entreprises recule de 2,0 %.
La baisse de la valeur ajoutée des entreprises entraîne la baisse de la masse salariale de 1,7%. Dans ce scénario central où la chute des salaires est compensée à 66% par la hausse des allocations chômage et des prestations sociales , la réduction de la consommation des ménages s’élève à - 0,6%, contre - 1,8 % si ces revenus de complément n’existaient pas. Toutes choses égales par ailleurs, la consommation fléchit de la même proportion. L’impact sur le PIB est de - 0,4 %. Les secteurs les plus touchés sont ceux liés à l’alimentation : production de viande et de lait, pêche et, à un degré moindre, autres industries agroalimentaires.
V - Près de 4 000 emplois menacés
L’emploi pâtira de cette baisse d’activité sans que l’on puisse le mesurer précisément. L’ajustement des effectifs à l’activité n’est pas mécanique, surtout si les entrepreneurs anticipent une reprise des travaux publics en 2010 (tram-train…).
En supposant que les chefs d’entreprises réduisent leurs effectifs en proportion de la baisse d’activité, la baisse du nombre d’emplois serait d’environ 3 900 dont 2 400 dans la construction et 1 500 dans les autres branches.
Sans revenus de remplacement, 700 emplois supplémentaires seraient menacés, notamment sur les activités à faible valeur ajoutée par salarié (commerce, services aux entreprises).
Enfin il est utile de souligner qu’une part importante des effectifs du BTP concerne le bâtiment et notamment les constructions privées qui ne sont pas étudiées dans cette note. Leur évolution sera déterminante en 2009.
CONCLUSION
La diminution de la commande publique nourrit de nombreuses inquiétudes. Son impact, déjà perceptible fin 2008 sur certaines branches du BTP, s’est accentué en début d’année 2009. Si les démarrages de la « nouvelle vague » de chantiers d’envergure, identifiés depuis longtemps et appelés à prendre le relais, ne sont pas imminents les volumes concernés sont en revanche très significatifs, à commencer par le tram-train (1,6 milliard d’€), les nombreuses stations d’épuration (estimées à 600 millions d’€ en cumul) et, plus tard, la nouvelle route du littoral (montant estimé à 1 milliard d’euros à ce jour).
Dans cette attente, il aurait pu être envisagé que les professionnels se tournent vers la commande privée qui représente des volumes plus importants et génère plus d’emplois car elle est principalement orientée vers la construction. Cependant, en dépit de la demande structurelle et durable de logements inhérente à la croissance démographique de la Réunion, ce domaine est actuellement durement affecté par l’inadéquation entre l’offre de logements et la demande (essentiellement sociale), ce qui pousse les investisseurs privés à différer leurs projets.
Source : Iedom Réunion