Un projet de loi voté mercredi soir à l’Assemblée nationale prévoit le fichage de 45 à 50 millions de Français, voire à long terme de toute la population française. L’objectif est de lutter contre l’usurpation d’identité, considérée comme « un véritable fléau » par le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant. Cependant, le texte suscite les inquiétudes de certains parlementaires, en particulier au Sénat.
Mercredi soir, les députés réunis en petit comité ont adopté une proposition de loi prévoyant la création d’un vaste fichier permettant de répertorier les empreintes digitales de 45 à 50 millions de Français. Sur le long terme, ce dispositif biométrique pourrait être étendu à l’ensemble de la population française.
Le gouvernement a tenu à préciser que ce grand fichier d’empreintes digitales ne pourra être consulté que dans le but de retrouver une personne suspectée d’usurpation d’identité. Cependant, cette précision est loin de rassurer tout le monde. De nombreux parlementaires, en particulier au Sénat, s’opposent au fichage généralisé « des gens honnêtes ».
A ce sujet, le débat était particulièrement vif mercredi soir autour de ce texte, qui passait pour la troisième fois sur la table des députés. Les discussions se sont focalisées en particulier sur le « lien fort », qui permet de faire des comparaisons entre les données biométriques d’une personne avec l’ensemble des données stockées dans le fichier, et donc de mettre un nom sur une empreinte, quel qu’il soit son propriétaire.
Au sénat, la perspective de mettre en place un « lien faible » a été avancée par les élus de gauche comme de droite. Contrairement au « lien fort », celui-ci se limite à constater l’existence d’une usurpation d’identité, sans remonter à son auteur. En clair, les détracteurs du « lien fort » redoutent des dérives possibles, notamment des atteintes au respect des données personnelles des citoyens fichés.
Le rapporteur de la loi et sénateur UMP François Pillet, hostile au « lien fort », avait évoqué une « bombe à retardement pour les libertés publiques ». L’élu de la majorité s’oppose également à la création d’un « fichier des gens honnêtes ». Il craint que ce « lien fort » ne permette « aux services en charge de la lutte contre le terrorisme d’utiliser, pour leurs missions, le fichier central biométrique à des fins d’identification d’une personne par ses empreintes digitales hors de toute réquisition judiciaire, ce qui est contraire au droit en vigueur. »
« Aucun fichier n’est à l’abri, surtout en matière d’informatique, et surtout quand on parle de fichiers très lourds et donc très fragiles comme celui-ci », s’inquiète pour sa part le député Serge Blisko. L’élu socialiste redoute en particulier l’accès dans le fichier des « personnes mal intentionnées ». Et les risques seront d’autant plus élevés avec des conséquences plus graves lorsque l’on parviendra un jour à « un fichage généralisé de la population », estime-t-il.
D’autres parlementaires dénoncent une éventuelle généralisation pure et simple du fichage, ce qui est très possible au regard de ce qui a été fait avec le fichier des empreintes génétiques (FNAEG). Ce fichier, qui était conçu au départ pour ficher uniquement les criminels sexuels a été élargi avec le temps aux suspects de la majorité des crimes et délits.
Mercredi soir, Claude Guéant qui était présent au moment du vote n’a pas donné grande importance à toutes ces inquiétudes. Pour lui, l’efficacité l’emporte sur la prudence. « Puisque nous avons les moyens techniques pour identifier l’usurpateur, utilisons-les », affirme-t-il.
Le projet de loi sera de nouveau débattu devant le Sénat courant février, et l’Assemblée nationale devrait l’adopter définitivement en quatrième lecture avant son entrée en vigueur. « Sauf s’il y a censure du Conseil constitutionnel », précise le député socialiste Serge Blisko.