Yvan Combeau, politologue, tire les leçons du scrutin des européennes qui s’est déroulé dimanche au niveau local, national et les conséquences Bruxelles.
Si la campagne pour les élections européennes a pu paraître à nombre de citoyens longue, répétitive et sans grand intérêt, c’est sans doute qu’elle est intervenue de manière quelque peu inopinée, dans une logique politico-électorale où rien n’était préparé pour qu’elle puisse prendre sa vraie dimension. », ces phrases datent de 25 ans, dans un article publié par le Journal Le Monde (1989) qui soulignait déjà la très faible participation. La mesure de cette donne électorale signe une distance. A La Réunion, l’écart entre les décideurs européens et les électeurs ne cesse de se creuser. L’Europe ne fait plus rêver. La désillusion est patente. Chacun reconnaît la place de l’Europe dans la modernisation de l’île. Longue est la liste des projets et des aides pour la Région Ultra-Périphérique. Mais au-delà des financements, il s’agit d’un divorce avec la machine institutionnelle. Et le phénomène d’abstention n’a cessé de progresser à La Réunion pour atteindre ce sommet de 80%. Avec un tel chiffre se lit un désintérêt des plus profonds de l’opinion publique et un découplage. Et si nous observons toute la circonscription Outre-Mer le chiffre est de 83%. Il faut bien relire le bilan des scrutins de 2014 : sur 1,8 millions d’inscrits nous ne comptabilisons seulement que 300.000 électeurs.
Election cherche électeurs
Ne cherchons pas les motifs de l’abstention dans la multiplication des listes (ou dans des agendas festifs ou privés). Ce qui est en cause a valeur de structurant : Le Parlement européen a été vécu comme un enjeu lointain. Eloignement politique. L’objectif du scrutin était de composer le Parlement européen de Strasbourg avec ses 751 membres : il a été rejeté. Le corps électoral n’y a vu aucun intérêt (et ajoutons les partis politiques n’ont pas beaucoup aidé à la compréhension). Dans ce paradoxal scrutin se retrouvent ainsi un fort scepticisme expliquant l’abstention et les votes mais également une critique sur le déficit démocratique et l’absence de réel contrôle de l’action des commissaires européens. De même, la bataille politique pour la nomination du futur Président de la Commission européenne construite pour mobiliser a été totalement ignorée. Qui connaissait , qui distinguait politiquement les deux figures de Martin Schulz et Jean Claude Juncker ? Les électeurs de la circonscription Outre-Mer s’en sont détournés. Les débats ont été regardés comme un arrière-plan de l’Europe sans liens avec le quotidien des existences. Ajouter à ce constat un mode de scrutin inexplicable et nous obtenons un scrutin opaque. Ce n’est pas l’Europe qui a été déjugée mais la machinerie européenne et la fabrique de directives vécues comme des décisions unilatérales imposées. Lorsqu’il existe un véritable enjeu le corps électoral se mobilise. Le 29 mai 2005 lors du réferendum sur la Constitution Européenne ce sont 70% des Français qui participent au scrutin. A La Réunion, la participation atteint alors 53% soit 33% et 130.000 électeurs de plus que dimanche 25 mai.
La véritable représentativité électorale
Lorsque l’abstention se situe à 80% tout le suffrage universel est bousculé. En premier lieu la représentativité, voire la légitimité, des élus. L’inscription des résultats en prenant en compte la totalité des inscrits donne un tableau dévastateur pour la société politique. Les trois élus du scrutin dans la circonscription Outre-Mer représentent effectivement (et respectivement) 4,2%, 3% et 2,9%. A t-on déjà analysé dans l’histoire de la vie politique si faible représentation. Plus globalement, le poids des 751 députés du Parlement de Strasbourg est concerné par cette apathie électorale. Sur les chiffres de La Réunion, le même calcul conduit à réduire les dimensions électorales des scores. La liste arrivée en tête (Younouss Omarjee) pèse seulement 4,4% des inscrits. Suit L’UMP (Yolaine Costes) 4,3% et le Parti socialiste (Philippe Le Constant) à 2,9%. Le Front national, s’évalue à 2,4% des inscrits. Ces pourcentages doivent se lire comme des indicateurs de pertinence pour ne pas seulement regarder les pourcentages des exprimés et prendre la mesure des effets qui seraient induits par une progression de participation comme celle que nous connaissons aux régionales (en 2010 : 45% au premier tour soit deux fois plus d’exprimés que lors des européennes). Il ne faut pas cependant négliger la lecture de cette participation des européennes de 2014. Elle marque la force des noyaux électoraux qui se sont exprimés. Il est intéressant ainsi de voir combien Younous Omarjee à su autant s’appuyer sur des pôles d’influence communiste (Ste Suzanne, Le Port, La Possession) et élargir son électorat (voir ses résultats au Tampon). De même dans l’analyse des votes Front National, il faut souligner qu’il est la seule force à progresser en nombre de suffrages (+7816 voix) en comparaison avec la référence 2004 (candidature FN de la liste Huguette Fatnat). Il augmente son potentiel électoral. Gardons nous pourtant d’extrapoler ou de réaliser des projections vers d’autres échéances. La double estimation (suffrages et pourcentages) autorise un examen réfléchi des résultats sortis des urnes évitant de sur-évaluer ce « moment électoral-Europe » et de l’inscrire trop rapidement comme un acte fondateur d’une nouvelle cartographie électorale.
Strasbourg/Bruxelles/La Réunion
Cette abstention interroge évidemment sur la relation entre l’élu et les électeurs. La fonction d’euro-député exige une présence à temps plein entre Strasbourg et Bruxelles. Elle porte en elle pour qui veut l’exercer totalement un refus du cumul. Il faut donc trouver un moyen de communication pour expliquer et partager le travail mené durant son mandat. L’idée d’un découpage mensuel du temps parlementaire entre trois semaines en Europe et une semaine à La Réunion n’apparaît pas comme un agenda efficient pour qui veut suivre les dossiers, proposer des amendements et participer aux débats informels. Moins l’on quitte la scène politique européenne plus l’efficacité de l’euro-député s’affirme. La solution passe probablement par le numérique (le politique à l’ère du numérique constitue un chantier d’avenir pour le renouveau des partis et la reconnaissance des élus) afin d’établir des relais et de faire connaître tous les aspects des activités de parlementaire. Des instruments qui permettent aux citoyens d’opérer une évaluation et un suivi d’une action parlementaire. Une des raisons du succès du député sortant réside en partie dans cette équation associant une constante présence sur les lieux de débats et de commissions, le refus du cumul et une utilisation des réseaux dits sociaux pour informer les citoyens à 10.000 kilomètres. Cela participe certainement aussi d’une manière de faire autrement de la politique.