Après les révélations des deux journalistes français mis en examen pour tentative d’extorsion et chantage, c’est au tout des autorités marocaines de se faire entendre en dévoilant une partie des procès-verbaux et des premières comparutions. Maroc maintient qu’il y a eu chantage.
Qui a proposé l’abandon d’un projet de livre sur le régime marocain contre de l’argent ? Le Maroc se dit victime de chantage, les deux journalistes inculpés reconnaissent "un accès de faiblesse" mais contre-attaquent : selon eux, Rabat était l’initiateur de la transaction. Chaque partie a sa propre version. Récemment, une source proche du palais royal a livré au Monde Afrique la version défendue par la partie marocaine sur les rendez-vous entre Eric Laurent et l’avocat de Mounir Majidi, le secrétaire personnel du roi Mohammed VI du Maroc.
Cette source a eu accès aux procès-verbaux des gardes à vue et des premières comparutions. Elle a notamment révélé les transcriptions de l’enregistrement, auxquelles Le Monde a eu accès. L’enregistrement réalisé par l’avocat marocain qui rencontre Eric Laurent "est de mauvaise qualité" et de "nombreux passages sont inaudibles, notamment les propos du journaliste", ont noté les policiers dans leur retranscription, selon la source.
Ce qui ne fait pas de doute, c’est que le journaliste n’a jamais refusé cette "solution", tandis que son interlocuteur Me Hicham Naciri, ne condamne pas le procédé. Lors du rendez-vous, au bar de l’hôtel Monceau, l’ambiance est d’ailleurs détendue. La discussion s’engage sur le Japon, d’où revient l’émissaire marocain. Puis le livre est abordé. Selon la version marocaine, c’est Eric Laurent qui est passé à l’attaque en premier. Bien que sa phrase soit inaudible, il aurait explicitement proposé une "solution" pour éviter au Maroc un scandale. Selon Me Hicham Naciri, Eric Laurent aurait déclaré : "Avec ma collègue Catherine Graciet, nous avons signé pour la publication au Seuil d’un Roi prédateur n° 2. (…) Nos informations sont explosives. (…) La monarchie ne peut pas se permettre le scandale que causerait un tel livre".
Sur le contenu du livre, le journaliste évoque des "scandales". Il avance notamment un document sur l’Office chérifien des phosphates (OCP). Mais l’avocat n’est pas convaincu qu’un tel dossier peut être qualifié de "scoop". "Y’a pas grand-chose", lâche Me Hicham Naciri. L’avocat qualifie en outre que les sujets évoqués par le journaliste sont des "sujets plus qu’épuisés, déjà couverts par la presse". Mais Eric Laurent maintient que ses informations sont dévastatrices.
"Que voulez-vous que je fasse ?", demande alors Me Naciri. Eric Laurent suggère discrètement un "accord" et évoque une "contrepartie". L’avocat demande encore une fois : "est-ce que vous avez une idée de l’arrangement ?". C’est ainsi qu’Eric Laurent a évoqué les 3 millions d’euros, révélé par Le Journal du dimanche, le 30 août.
Eric Laurent a contesté sur i-Télé ces enregistrements qui selon lui pouvaient très bien être modifiés avec des moyens techniques élaborés. La partie marocaine réplique de son côté : "nous souhaitons bien du courage aux conseils de la partie adverse pour prouver la falsification, puisque les bandes sonores ont été préalablement vérifiées par la police française".